Lettre des Sociétés Française de Mathématique, Physique, et Chimie à propos de la recherche et de l’enseignement supérieur

La Société Mathématique de France (SMF),La Société Française de Physique (SFP),La Société Française de Chimie (SFC) font état de leurs réflexions sur la recherche et l’enseignement supérieur : organismes, universités et grandes écoles d’ingénieurs

Lettre des Sociétés Française de Mathématique, Physique, et Chimie à propos de la recherche et de l’enseignement supérieur

Nos trois sociétés savantes (SFC, SFP et SMF) sont des associations indépendantes qui ont amorcé une réflexion commune avec les membres de leurs communautés respectives. Elles sont représentatives des enseignants, des chercheurs et pour partie des ingénieurs de leurs disciplines qui couvrent l’essentiel des sciences de base, à l’exclusion des sciences du vivant où les pratiques diffèrent. Elles font ici état de leurs réflexions sur les projets actuellement discutés des politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces opinions sont largement fondées sur les analyses quantitatives du rapport « Goulard » de mai 2007 sur l’enseignement supérieur.

L’autonomie des universités

Une des motivations principales de la nouvelle loi sur les universités est de faire émerger des établissements plus visibles à l’échelle mondiale. Elle va modifier en profondeur l’enseignement supérieur français. Cette réforme ne sera un succès que si elle arrive à favoriser l’émergence de présidents d’universités qui auront pleinement l’ambition et les moyens de conduire la politique de leur établissement au meilleur niveau, en tenant compte de sa vocation. Les établissements les plus renommés en termes de recherche devront se donner la mission de se hausser au plus haut niveau international. Les autres établissements auront dans leur ensemble une fonction tout aussi essentielle en tant qu’universités de proximité pour la formation des étudiants.

Nos trois sociétés, qui sont représentatives des acteurs des sciences exactes à la base du développement technologique futur, notent qu’un fossé risque de se creuser entre les différents types d’établissements. Nous pensons que tous les établissements sont susceptibles de viser à l’excellence dans certains domaines. La qualification d’une université peut évoluer dans le temps. Les regroupements du type PRES ou RTRA permettront à un nombre croissant d’établissements d’enseignement supérieur d’atteindre une masse critique dans des domaines variés ; ils pourront ainsi offrir des cursus de formation et des laboratoires de recherche capables d’affronter la compétition mondiale. Il importe de ne pas figer sur le long terme une hiérarchie entre établissements.

L’ensemble des établissements devront en conséquence recevoir des moyens appropriés à leur politique scientifique. De plus ces préoccupations d’avenir ne doivent pas faire oublier les besoins criants de nombreusesuniversités : la simple mise à niveau des infrastructures en grande partie délabrées requiert des moyens immédiats.

Le refus de la sélection à l’entrée des grands cycles universitaires ne doit pas se faire au détriment des étudiants ; un trop grand nombre s’engagent de nos jours dans des filières dans lesquelles ils n’ont que de faibles chances de succès, ou d’obtenir un emploi à l’issue. Les lycéens et les étudiants doivent être mieux informés sur les débouchés des filières de formation et des dispositifs doivent être mis en place pour les orienter vers les filières les mieux adaptées à leur projet d’études et de carrière. La nouvelle loi, en permettant un décloisonnement entre les composantes des universités, devra faciliter la réorientation des étudiants. Nos sociétés sont volontaires pour contribuer à l’information chiffrée sur les métiers correspondant à nos disciplines.

Les structures de recherche

Nos sociétés sont alarmées par les menaces récurrentes qui planent sur l’avenir du CNRS.

La création des UMR entre le CNRS et les établissements d’enseignement supérieur a réalisé un progrès considérable dans le cadre de la contractualisation des universités et a permis de renforcer la recherche dans de nombreux établissements. Nos sociétés y sont très attachées. Le système s’est développé au cours des années avec des partenariats fondés sur des objectifs partagés et de véritables complémentarités. La relation entre le CNRS et les établissements universitaires apporte une richesse et une dynamique appréciables, avec la prise en compte des forces et des faiblesses locales et régionales et de la logique nationale. La mixité dans les grands laboratoires d’excellence apporte la mutualisation des moyens, des connaissances et des compétences, grâce à la proximité entre chercheurs, enseignants-chercheurs, étudiants et postdoctorants. Les activités de recherche et de formation sont inséparables dans nos disciplines. Même dans des formations où les chercheurs CNRS sont peu nombreux, l’implication du CNRS a un rôle moteur, par les moyens qu’elle amène et par la dynamique qu’elle induit. La question du pilotage équilibré des unités doit être négociée entre partenaires CNRS et université. Plutôt que de privilégier des principes de séparation ou d’exclusion, les grandes UMR permettent de mettre en place de nouveaux projets, d’aider les évolutions thématiques et de renforcer l’interdisciplinarité.

Nous sommes donc hostiles à la séparation entre unités du CNRS pour les laboratoires d’excellence et unités universitaires pour les autres. La mixité des tutelles pour les laboratoires a fait ses preuves et nous souhaitons la défendre. Nous souhaitons promouvoir pour le pays une recherche et une formation au meilleur niveau. Pour cela il faut maintenir et développer la synergie entre établissements d’enseignement supérieur et CNRS. Il faut au contraire renforcer les partenariats et engager les institutions dans des programmes de développement de projets scientifiques sur plusieurs années, ce qui impliquera un engagement conjoint des organismes et des établissements universitaires à y affecter des postes et des moyens.

Enfin, nous remarquons que l’ANR a un rôle complémentaire de celui du CNRS et ne saurait se substituer à lui. Le pilotage de la recherche par grands projets ne doit pas masquer la nécessité, évidente sur le long terme, d’une recherche fondamentale non téléguidée.

La mobilité des enseignants-chercheurs

Nous attirons l’attention sur le danger de figer les carrières des enseignants-chercheurs dans un établissement donné. Nous préconisons une fluidité dans le passage d’un établissement à l’autre à différents stades de la carrière, comme aux Etats-Unis, en favorisant les procédures de mutation et de congé temporaire. Celles-ci ne doivent pas être encouragées uniquement vers d’autres universités, mais aussi vers les grandes écoles, les grands organismes scientifiques (CNRS, CEA, CNES, IFP,…), ainsi que vers les établissements étrangers lorsqu’il s’agit de congé temporaire. Les autorités universitaires locales (président, CA,…) mais aussi nationales doivent lutter activement contre les habitudes de recrutement local, qui sont malheureusement la règle dans certains établissements et dans certains domaines. Nous encourageons les instances d’évaluation à publier des statistiques sur ce sujet et à les prendre en compte lors de la négociation des contrats quadriennaux.

Nous proposons de faciliter la mobilité des chercheurs entre leur carrière universitaire et l’industrie, vers les départements de Recherche et Développement. Ces mobilités sont encore rares, difficiles à mettre en place, et mal reconnues dans la culture française. Le développement de la consultance après la thèse, qui se pratique surtout en chimie, est une voie à cultiver. L’annonce récente par le gouvernement de monitorats au sein de l’industrie pourrait permettre de développer une culture d’interaction entre universités et entreprises. Ces dernières tireraient un grand bénéfice à embaucher plus fréquemment des docteurs, ainsi qu’à attirer des scientifiques à mi-carrière (les 35-40 ans), de façon temporaire ou définitive. Leur retour vers la carrière universitaire après une expérience industrielle doit être facilité, ainsi que la prise en compte de leur engagement temporaire dans la recherche industrielle. La diminution de la rigidité des carrières du type CNRS actuel sera de nature à encourager de tels échanges. Les chercheurs du secteur public à l’origine d’une découverte devront être davantage impliqués dans la valorisation de ses applications. Les encouragements répétés à l’ouverture vers l’innovation et le développement doivent s’accompagner de messages clairs reconnaissant l’impact sociétal de cette démarche.

Les carrières des chercheurs et enseignants chercheurs

Au moment où les missions du CNRS sont mises en cause, nos sociétés réaffirment avec force le rôle structurant joué par les chercheurs à plein temps dans de très nombreux laboratoires.

Dans l’hypothèse où la carrière d’enseignant chercheur deviendrait la règle générale, assortie de procédures locales de recrutements au sein des universités, nous soulignons la nécessité incontournable de maintenir une qualification nationale pour accéder à ces emplois. Les comités nationaux (du type du CNU) devront renforcer leurs exigences sur les capacités des candidats à obtenir cette qualification. De même l’appréciation du niveau de la recherche d’un enseignant en vue des promotions et des primes et les arbitrages entre disciplines continueront à requérir des évaluations sérieuses et extérieures, comme cela se fait dans les autres grands pays scientifiques, les simples critères bibliométriques conduisant à des conclusions souvent trompeuses. Une inquiétude existe concernant la qualité des recrutements dont les présidents des universités porteront la responsabilité : des mécanismes d’évaluation a posteriori s’imposent dans le cadre de la contractualisation. L’AERES doit être dotée de moyens suffisants pour assurer ces missions. Ces évaluations doivent avoir des conséquences effectives au moment de la négociation du plan quadriennal, clairement identifiées discipline par discipline.

Les enseignants les plus actifs en recherche doivent avoir la possibilité de faire de la recherche à plein temps pendant une partie de leur carrière. Ceci devrait tout particulièrement concerner les jeunes recrutés, comme c’est l’usage pour les mathématiciens qui entrent au CNRS et en sortent généralement pour devenir professeurs. Une possibilité est que le CNRS offre des postes d’accueil à certains jeunes recrutés maîtres de conférences ; ils pourront ainsi consacrer une très grande fraction de leur temps à la recherche sur un projet et ceci pour une durée suffisante mais limitée, éventuellement renouvelable après évaluation. Ceci contribuerait à éviter la fuite définitive des cerveaux à l’étranger. Des délégations de cette nature pourraient également être offertes à des enseignants-chercheurs seniors porteurs de projets ambitieux. Enfin, certains types de recherche impliquent la construction et l’utilisation de grands équipements scientifiques ; il est indispensable que des chercheurs puissent y consacrer la totalité de leur activité, comme c’est le cas dans les pays scientifiquement les plus en pointe.

L’instauration, après le doctorat, de CDD de 6 ans suscite des réserves de la part de nos sociétés. Ils ne devraient en aucun cas devenir la règle générale pour les recrutements. Remarquons que la possibilité de recrutements permanents de jeunes en France est un facteur d’attractivité pour les scientifiques étrangers ; en outre sa diminution se ferait notamment au préjudice des jeunes femmes qui souhaitent fonder une famille. Le CCD de longue durée ne pourrait se justifier qu’assorti de l’engagement d’offrir à l’issue du contrat un recrutement permanent fondé sur le succès du CDD après évaluation (comme pour les postes de « tenure track » aux Etats Unis), et à la différence du système allemand où l’habilitation non sécurisée entraîne une perte de talents dommageable. Notons aussi qu’un décalage considérable s’est instauré depuis quelques années entre les rémunérations des chercheurs français et celles du marché international, ce qui entraîne pour notre pays la perte d’une fraction, qui ne fait que croître, des meilleurs de nos collègues. Une prise en compte de cet état de fait nous paraît urgente.

Le rapprochement universités-grandes écoles

La répartition des étudiants scientifiques après le baccalauréat a connu des modifications importantes : multiplication des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), attractivité croissante des écoles d’ingénieurs auprès des jeunes bacheliers et tarissement du nombre de bons étudiants dans les filières de licence. Le niveau de l’enseignement en licence s’en trouve limité, le taux d’échec des étudiants est catastrophique en première année de licence, malgré la qualité des enseignants.

Il est donc urgent d’augmenter l’attractivité des premiers cycles universitaires. Le fait de disposer d’enseignants qui sont aussi des chercheurs de talent est pour les jeunes étudiants une chance qui doit être préservée. Nous sommes aussi favorables au retour du système des IPES, promis pendant la campagne présidentielle ; il contribuera à attirer des étudiants en licence, créera une émulation entre eux et aura le mérite de mieux faire fonctionner l’ascenseur social. Les deux cursus (classes préparatoires et licences) présentent en fait des avantages complémentaires. Les CPGE ont une pédagogie très efficace et un faible taux d’échec. Le système universitaire permet des programmes plus souples, plus ouverts vers la science actuelle et, par l’intermédiaire des enseignants-chercheurs, met très tôt les étudiants en contact avec des chercheurs. Chaque système devra donc évoluer en prenant en compte les points forts de l’autre. Nous recommandons aussi fortement d’entamer une réflexion sur une modernisation des programmes des CPGE, là où elle n’a pas encore (ou pas suffisamment) été effectuée ; cela permettrait de réduire leur écart avec les programmes universitaires. On aurait avantage à favoriser les expériences de classes préparatoires mixtes (CPGE dans les universités) et à diversifier leurs voies de sortie (grandes écoles, mais aussi masters). Dans le même ordre d’idée, les professeurs d’université pourraient faire des cours dans les CPGE.

Dans les grandes écoles d’ingénieurs les plus réputées, les enseignements de nos disciplines de base régressent au profit d’autres matières telles que la gestion, le droit, le management. Il y a dichotomie entre la sélection et la formation. A la sortie, les ingénieurs se dirigent ainsi de plus en plus vers des carrières non scientifiques. Le cursus des étudiants au sein de ces formations les éloigne non seulement de la recherche, mais aussi des postes de cadres scientifiques dont les entreprises ont besoin et encore plus de la création d’entreprises innovantes de haute technologie ; il y a là une perte de compétences, déjà dénoncée depuis longtemps, mais qui devient dramatique. L’une des mesures à prendre pour enrayer cette tendance serait d’augmenter la fluidité entre universités et grandes écoles. Cela devrait être facilité par le fait que plus de la moitié des 200 écoles d’ingénieurs sont des écoles universitaires (les grandes écoles indépendantes sont prestigieuses mais en petit nombre). Une telle fluidité pourrait passer par des échanges d’enseignants, des stages d’élèves des écoles dans les laboratoires universitaires et une diversification des voies de sortie. Le niveau des laboratoires de recherche dans les grandes écoles (sauf quelques rares exceptions) n’est pas en rapport avec la qualité du recrutement de leurs élèves, au moins dans nos disciplines. Le développement d’une recherche à un niveau d’excellence dans les plus grandes écoles d’ingénieurs passe par un recrutement plus ouvert sur l’extérieur et plus international de leurs enseignants, et aussi par la multiplication des unités mixtes écoles–universités. Le mode de recrutement des enseignants-chercheurs dans ces grandes écoles devra s’aligner sur celui des universités, qui a fait ses preuves dans la plupart des pays industrialisés, où la formation des ingénieurs est prise en charge dans les universités.

Le regroupement de grandes écoles et d’universités au sein de PRES devrait faciliter ces rapprochements ; même les plus prestigieuses des grandes écoles ont une visibilité trop réduite à l’échelle internationale. Toutefois les exemples du classement de Shanghai indiquent que les notions de taille et d’excellence ne vont pas forcément de pair. Remarquons que les nombreuses écoles d’ingénieur créées depuis une quinzaine d’années sont très souvent implantées dans des universités, ce qui devrait faciliter les passages entre elles si la gouvernance des universités évolue positivement. Nous appelons la Commission du Titre d’Ingénieur, qui est en partie responsable de l’absence de visibilité de la recherche dans les écoles, à accompagner l’émergence de nouvelles structures universitaires en assouplissant les conditions qui tendent aujourd’hui à isoler les formations d’ingénieur au sein des universités par des mesures dérogatoires.

Perspectives

Nos trois sociétés sont prêtes à participer à des échanges avec les responsables politiques dans les divers cercles de réflexion stratégiques mis en place en ces périodes où de profondes réformes sont en cours. Elles souhaitent agir en coordination avec d’autres sociétés savantes avec lesquelles elles ont des rapports étroits (SMAI, Fédération de Chimie, SEE, etc). Elles sont également disposées à aider au fonctionnement des dispositifs d’évaluation et d’expertise par leur connaissance directe du milieu concerné.