Université, recherche, les jeunes chercheurs en première ligne : communiqué ANCMSP

Sous-financés et régulièrement méprisés, les jeunes chercheurs restent les premières victimes des réformes en cours dans l’enseignement supérieur et la recherche

Les jeunes chercheurs continuent de faire les premiers les frais des réformes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ces réformes se contentent de prolonger les tendances établies depuis plusieurs années : le sous-financement chronique de la recherche et de l’enseignement supérieur, ainsi que le mépris de l’exécutif à leur égard.

Dans ce contexte, et au nom des étudiants, doctorants et docteurs attirés par les métiers de la science politique, l’ANCMSP tient à rappeler les conditions souvent désastreuses dans lesquelles les jeunes chercheurs sont contraints de travailler et d’élaborer leurs perspectives professionnelles. Souvent en première ligne des manifestations, ils sont aussi malheureusement en première ligne des réformes en cours.

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La concentration des débats sur la réforme d’un décret statutaire masque les effectifs réels de la recherche française : pour 55 000 enseignants-chercheurs, on compte environ 65 000 doctorants (environ 12 000 nouveaux chaque année) et 7 000 docteurs sans poste ou employés sur des contrats précaires. Les universités n’ayant toujours pas pris l’initiative de créer un collège électoral spécifique aux jeunes chercheurs, les réformes s’accumulent sans qu’aucune concertation avancée ne soit menée avec ces derniers et avec leurs représentants.

La situation actuelle est pourtant critique pour les jeunes chercheurs, dont l’environnement professionnel est en constante dégradation. En encourageant les contrats à durée limitée sans développer les postes statutaires, la loi « LRU » a directement contribué à la détérioration de leurs perspectives professionnelles [[Communiqué CJC du 26 novembre 2007 : « La loi LRU laisse de côté le développement des carrières académiques« .]].

L’ANCMSP appelle par conséquent à soutenir toutes les mobilisations permettant de mettre en avant les préoccupations des jeunes chercheurs, qui concernent en priorité trois thèmes :

– la réforme du doctorat,
– l’évolution des recrutements universitaires, et
– la valorisation des parcours académiques.

1. Les jeunes chercheurs, premières victimes du sous-financement chronique

Réformer avec la main gauche en supprimant des moyens avec la main droite est une stratégie absurde. Malgré les quelques améliorations du « contrat doctoral » au niveau des conditions de travail des doctorants [[Le projet de « contrat doctoral unique », lancé à la rentrée 2009, présente plusieurs avantages par rapport au système actuel des allocations de recherche, mais ne permet toutefois pas de dissiper de nombreuses inquiétudes, liées au statut professionnel du doctorant ; voir le communiqué ANCMSP du 16 janvier 2009 : « Le futur contrat doctoral : un CPE pour doctorants jetables ?« .]], l’ANCMSP remarque que les réformes en cours n’offrent aucune garantie effective de financement à la recherche doctorale. Pire, les moyens disponibles tendent même à s’amenuiser, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ayant supprimé 225 allocations de recherche en 2009 [[Communiqué CJC du 24 septembre 2008 : « Suppression de 225 allocations de recherche en 2009« .]]. De même, les financements en sortie de thèse se sont réduits en 2009, le ministère ayant refusé de financer la campagne nationale de recrutement post-doctoraux par le CNRS [[Note ANCMSP du 15 janvier 2009, « Post-docs CNRS 2009 : la fin du recrutement national« .]].

Dans un contexte déjà difficile, qui oblige certains doctorants à travailler sans financement ou sous le régime illégal des libéralités [[Les libéralités désignent un système de gratifications utilisé pour payer des jeunes chercheurs au noir, sans cotisations sociales. Voir le rapport CJC sur le travail illégal des jeunes chercheurs et son appel à l’abandon de ce système injuste, qui perdure néanmoins, jusque dans certains ministères.]], les arbitrages ministériels se font contre les jeunes chercheurs : contre la revalorisation des allocations de recherche, contre l’accroissement du nombre de doctorants financés (avec pour effet l’accroissement des inégalités disciplinaires), et contre l’emploi scientifique en sortie de thèse. Or la pénurie de financements a de graves conséquences pour les jeunes chercheurs : outre les défections qu’elle entraîne à plusieurs niveaux, elle fait également obstacle à la mise en place de pratiques qui permettrait de rendre le parcours doctoral plus professionnalisant. En définitive, le contexte actuel crée un sérieux handicap pour la recherche dans son ensemble, qui souffre d’un déficit d’attractivité lié à la situation précaire de ses plus jeunes recrues [[Communiqué ANCMSP du 15 octobre 2008 : « Doctorants non financés et contrat doctoral« .]].

Dans une certaine mesure, la situation critique des jeunes chercheurs ne fait que refléter la dégradation des moyens dans l’enseignement supérieur et la recherche : la communication sur « l’augmentation » des budgets universitaires, auxquels tous les gouvernements prétendent depuis les États généraux de la Recherche en 2004 [[L’ANCMSP participe activement au mouvement « Sauvons La Recherche » et était présente lors de ces États Généraux.]], masque à peine leur stagnation en euros constants, et leurs premières conséquences : postes supprimés (non renouvelés), budgets de fonctionnement en baisse, régression de l’investissement.

En l’absence des recrutements essentiels à l’excellence du service public d’enseignement supérieur et de recherche, les jeunes chercheurs sont les premières victimes de la dégradation des budgets, qui les expose à des tâches supplémentaires sans rémunération, qui rend leurs contrats encore plus précaires, et qui incite les universités à se servir de ces contrats précaires comme d’une variable d’ajustement. Dans l’état actuel des choses, les jeunes chercheurs doivent s’attendre à affronter des situations plus précaires, et pour plus longtemps, ce sur quoi l’ANCMSP avait déjà donné l’alerte en faisant remarquer la fin programmée des demi-postes d’ATER, désormais transférés aux universités [[Ces postes, qui permettaient de financer les doctorants en fin de thèse grâce à une charge d’enseignement raisonnable, sont gravement menacés par les coupes franches dans les budgets universitaires ; voir Système D n°20, 2006]]. Les décrets en discussion ne cherchent pas à modifier la pente idéologique des réformes gouvernementales, axées sur la suppression de postes [[La demande, formulée par Valérie Pécresse, de surseoir aux suppressions de postes afin de mener à bien sa réforme de l’Université, avait été catégoriquement rejetée par l’Élysée au motif que « ce serait sacrifier l’esprit de la réforme » (Le Canard enchaîné, 11 février 2009).]]. Ils n’apportent, par conséquent, aucune réponse au problème crucial qu’affrontent les générations actuelles de jeunes chercheurs : celui de la disparition des parcours professionnels stables dans l’enseignement supérieur et la recherche.

L’ANCMSP s’inquiète enfin des difficultés qu’affrontent les doctorants non financés pour s’inscrire dans certaines écoles doctorales, qui restreignent les possibilités d’inscription et de réinscription en doctorat, et réaffirme son opposition aux mesures visant à produire des écoles doctorales « efficaces », au détriment des doctorants : une bonne pratique ne saurait être qu’une pratique de soutien du doctorat et de recherche par les personnels encadrants de financements pour l’ensemble des candidats au doctorat. La dérive gestionnaire actuelle illustre particulièrement les effets délétères du manque de moyens, qui incitent les universités à scruter des indicateurs de rentabilité académique (taux de financement, durée moyenne des thèses) au lieu d’améliorer l’encadrement des doctorants et leurs pratiques de travail. Les doctorants étrangers établis en France, déjà victimes de situations administratives inacceptables au cours leur activité de recherche [[Fiche CJC, octobre 2005 : « Note sur la situation administrative des doctorants étrangers en France« .]], sont parmi les plus fragilisés par le contexte actuel.

2. Les jeunes chercheurs, premières victimes de la crise du recrutement universitaire

L’ANCMSP suit depuis plus quinze ans l’état du recrutement universitaire dans sa discipline (la science politique) et a pu observer, en science politique comme dans d’autres disciplines, que les jeunes chercheurs assurent une énorme partie de la charge d’enseignement et de recherche – à travers le système particulièrement précaire des vacations [[L’ANCMSP rappelle que les vacations ne peuvent pas constituer un mode de financement doctoral ; voir Système D n°20, 2006.]] – au cours des nombreuses années d’attente nécessaires à l’obtention d’un poste stable.

En science politique, où seulement une quinzaine de postes de maîtres de conférence et une poignée de postes de chargés de recherche se distribuent en moyenne chaque année [[Voir le suivi des postes MCF et CNRS effectué par l’ANCMSP.]], la crise du recrutement universitaire était déjà flagrante. Les besoins de la discipline, estimés à 90 postes de titulaires d’enseignement en plus des 350 existants [[Voir le rapport de Loïc Blondiaux pour l’AECSP, 2004.]], n’ont aucune chance d’être remplis, même à moyen terme, et ce notamment du fait de l’absence de mobilisation collective au sein la discipline [[À ce titre, l’ANCMSP rappelle que le redéploiement des postes universitaire ne doit pas se faire au détriment des disciplines moins dotées et des filières souffrant déjà gravement du sous-encadrement. Elle souhaite aussi que les instances de représentation des personnels titulaires accompagnent la reconduite des postes en section CNU 04 ou sur des fléchages compatibles, à partir des informations dont elles disposent sur les départs à la retraite.]].

Les réformes en cours du recrutement universitaire vont rétrécir encore un peu plus les horizons professionnels des jeunes chercheurs. L’ajustement des recrutements en fonction des besoins des universités, qui fait partie des objectifs de la loi « LRU », devait donner cours à des recrutements « au fil de l’eau » permettant de combler rapidement les postes vacants. Ce système, qui ralentit les recrutements en plus de nuire à leur transparence, aboutit à un autre résultat médiocre : depuis sa mise en place, seuls trois postes — dont deux de… professeurs des universités — ont été créés en science politique. Enfin, et malgré les nombreuses alertes lancées au sein de la discipline au sujet du localisme [[Voir les articles d’Olivier Godechot et Nicolas Mariot dans Système D, n°14, avril 2003, et Système D n°22, septembre 2007.]], les nouvelles règles de constitution des comités de sélection n’apportent aucune garantie contre les « petits arrangements entre amis », sur lesquels le manque de postes agit en facteur aggravant.

3. Les jeunes chercheurs, premières victimes du mépris pour la recherche scientifique

Le discours présidentiel du 22 janvier 2009, prononcé « à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation », a scandalisé le milieu universitaire à plus d’un titre. Les erreurs factuelles et les contre-vérités prononcées par le chef de l’État, notamment en matière d’évaluation [[Voir, notamment, Frédérique Matonti, « Petite mise au point sur l’évaluation« , 8 février 2009, et Sylvain Piron, « L’évaluation selon Nicolas Sarkozy« , 23 février 2009.]], ont d’autant plus choqué qu’elles furent accompagnées de mimiques et de remarques témoignant d’un mépris profond pour la recherche scientifique, et présent de manière quasi-endémique chez une partie des élites dirigeantes.

Cette attitude déplorable fait obstacle à la reconnaissance des compétences professionnelles acquises à l’université. En plus d’être insultante pour les jeunes chercheurs consentant à des sacrifices personnels importants afin d’intégrer une carrière universitaire, elle nuit également à la vaste majorité de diplômés se destinant à des carrières hors du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La reconnaissance de leurs compétences demande pourtant déjà des efforts considérables aux associations de jeunes chercheurs, dont l’ANCMSP et la CJC en France mais aussi la fédération européenne EURODOC, qui travaillent afin que la valorisation du doctorat progresse auprès des employeurs extra-universitaires [[La valorisation du doctorat était d’ailleurs le thème d’une intervention de l’ANCMSP pour la CJC lors de la conférence « Jeunes Chercheurs » organisée à Rennes, lors de la présidence Française de l’Union Européenne, en novembre 2008.]]. Ces mobilisations ont débouché en 2006 sur la reconnaissance du doctorat comme une expérience professionnelle de recherche, dans un premier temps par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 (LOPR), puis par l’article premier de l’arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale [[Voir le texte de l’arrêté.]]. Des changements culturels et institutionnels importants seront également requis afin d’intégrer systématiquement les docteurs dans les conventions collectives et – par des voies d’accès spécifiques – dans la fonction publique [[Voir, respectivement, la pétition UGICT-CGT/CJC/UNEF, lancée en 2004, et le rapport SLR-JC/ANDES/CJC, publié en 2008, sur la Haute fonction publique.]]. Enfin, les dispositifs récents, comme celui du doctorant-conseil, n’ont pas encore fait leurs preuves et ne peuvent se substituer à une évolution du regard sur la valeur professionnelle du doctorat.

Afin de protéger les initiatives en cours allant dans ce sens, l’ANCMSP souhaite attirer l’attention sur les aspects symboliques des réformes en cours : en ne consultant la communauté universitaire qu’a minima, et en affichant son mépris pour le travail universitaire et scientifique, l’exécutif politique français achève en effet de contredire ses propres priorités en ce qui concerne le rôle de l’Université [[Ce désaveu et son modus operandi rappellent le sort du CNRS, encensé lors des récents prix Nobel de physique ou de de médecine mais victime d’arbitrages budgétaires lapidaires et réformé dans des circonstances désastreuses ; voir, par exemple, le communiqué ANCMSP sur la réforme des SHS : « Démission de la directrice du département SHS« , 10 décembre 2008.]]. Il fait également mentir ses engagements en faveur de l’emploi des jeunes, en dévalorisant un parcours professionnel doctoral retenu par de très nombreux étudiants et dont le rôle dans l’économie de la connaissance est absolument crucial. En définitive, les réformes actuelles donnent ainsi tort à l’intégralité des engagements de Valérie Pécresse lors de son discours du 9 juillet 2007, qui inaugurait son chantier ministériel « Jeunes Chercheurs » [[Voir le texte du discours.]].

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En refusant d’affecter les financements nécessaires à l’amélioration de leurs conditions de travail, en mettant en place un pilotage et une évaluation des écoles doctorales fondés sur des critères uniquement comptables, en refusant de leur offrir un avenir professionnel de qualité, et en participant activement à la dégradation publique de leur statut, le gouvernement est actuellement incapable de mener une réforme favorable aux intérêts des jeunes chercheurs en France. Les doutes émis collectivement par l’ensemble des associations représentatives de la science politique française en décembre 2007 [[Courrier AECSP/AFSP/ANCMSP : « À propos de la recherche et de l’enseignement supérieur« , 5 décembre 2007.]] se sont malheureusement confirmés.

Plus que jamais, il faut aujourd’hui défendre les jeunes chercheurs. L’ANCMSP appelle à une mobilisation massive en leur faveur : premières victimes des évolutions et des erreurs actuelles, fragilisés par des statuts de plus en plus précaires et des perspectives professionnelles de moins en moins prometteuses, les jeunes chercheurs ne doivent pas rester à l’arrière-plan de la mobilisation en cours chez les personnels titulaires, mais figurer au premier plan des débats, des revendications et des propositions d’amélioration des pratiques en termes d’encadrement, de financement et de représentation.

La mobilisation des jeunes chercheurs doit également s’inscrire dans le temps afin de garantir une représentation stable des étudiants, doctorants et docteurs sans poste. C’est pourquoi l’ANCMSP tient à encourager tous celles et ceux souhaitant fonder une association de jeunes chercheurs au niveau d’un site ou d’une discipline, et met son expertise à leur service.

Sur tous ces points, l’ANCMSP entend continuer à défendre ses propositions auprès des associations disciplinaires et des associations représentatives, afin que les jeunes chercheurs d’aujourd’hui ne constituent pas une « génération sacrifiée » dans l’Université française.

L’ANCMSP