Pour la deuxième année consécutive, le classement rendu par le jury d’admission de la section 36 du CNRS diffère de celui du jury d’admissibilité. Nous nous permettons d’intervenir car la science politique est présente dans les sections 36 et 40, aussi bien au niveau des membres des jurys que des candidat.e.s. Le fonctionnement de ces institutions est ainsi important pour les candidat.e.s aux métiers de la science politique, et pour la structuration de nos deux disciplines en général.
Au-delà de Patrice Bourdelais, du jury d’admission de l’INSHS et de leurs déclassements, il y a (peut-être) quelque chose de pourri au CNRS et dans l’ESR.
L’année passée, Matthieu Grossetête et Akim Oualhaci, classés 1ers ex-aequo au concours CR2 de la section 36 du CNRS, s’étaient faits déclasser par le jury d’admission qui avait préféré recruter deux juristes et accepter une suppression de poste. Cette année les résultats de la phase d’admission étaient ainsi particulièrement attendus : le jury d’admission allait-il à nouveau balayer d’un revers de main le travail du jury d’admissibilité ? La réponse est : oui, partiellement. Le déclassement ne concerne “que” deux personnes : à nouveau Matthieu Grossetête, initialement classé n°8 pour 8 postes à l’issue de la phase d’admissibilité, finalement 9ème (donc 1er sur liste complémentaire), et Akim Oualhaci, qui aurait pu profiter de ce déclassement, puisqu’il était classé n°9 à l’issue de la phase d’admissibilité, mais qui sera finalement (dé)classé n°10 après la phase d’admission (donc 2e sur liste complémentaire).
Le traitement réservé à ces deux collègues, avec ces deux déclassements réitérés, nous semble tout d’abord être une honte pour le CNRS et nos disciplines. L’an dernier, la direction de l’InSHS n’avait communiqué qu’a posteriori sur les raisons scientifiques des déclassements. Pour justifier les choix politiques divergents de la direction du CNRS, elle avait expliqué privilégier les candidat.e.s qui remplissaient des critères d’« internationalisation », critères contestables et contestés (voir le message de JP Heurtin sur la liste de l’ANCMSP) (1). Cette année nous attendons toujours que l’InSHS rende compte des critères motivant les re-déclassements et permette ainsi qu’ils soient discutés publiquement. Rappelons enfin que les postes CNRS sont extrêmement prisés, et que les critères de recrutement orientent les stratégies des candidat.e.s et donc leurs projets. De diverses manières, c’est donc l’autonomie scientifique au CNRS qui se joue aussi en partie dans les luttes et coups de forces autour des classements et de déclassements.
À ces enjeux s’ajoute la déplorable instrumentalisation qui est faite des carrières scientifiques de deux précaires nullement responsables de cette situation. Les préjudices moraux et professionnels sont particulièrement lourds. D’une part, aucune motivation de leur re-déclassement n’a été donnée cette année à notre connaissance. D’autre part, le fait que la direction de l’InSHS fasse de leur cas un point d’honneur dans le rapport de force qui l’oppose à la section 36 diminue leurs chances au CNRS, alors même que le fait d’être bien classé au CNRS diminue leurs chances pour les postes de MCF. Nous demandons au CNRS d’embaucher immédiatement comme chargés de recherche ces deux collègues qui ont passé avec succès le concours à deux reprises.
Les réactions à ces deux re-déclassements nous semblent presque aussi problématiques que les déclassements eux mêmes, et symptomatiques de problèmes structurels dans nos disciplines. L’an dernier, la section 36 s’était indignée publiquement, le comité de liaison SNCS de la section avait lancé une pétition signée par plus de 3000 personnes et l’avait remise lors d’une réunion du Conseil scientifique de l’InSHS ; plusieurs syndicats avaient publié des communiqués ; et le journal Le Monde s’était même fait écho de l’affaire. Certains membres de la section 36 avaient désigné Patrice Bourdelais, alors directeur de l’InSHS, comme principal responsable de ces déclassements (2). Ce dernier désormais à la retraite, cette explication ne tient plus. Les réactions cette année semblent plus timides : quelques indignations, une pétition intitulée « Déclassements au CNRS : ne restons pas sans rien dire », demandant la publication de la composition du jury d’admission de l’InSHS (pourtant trouvable en quelques secondes sur un moteur de recherche) et « de la considération pour les conséquences humaines de ces déclassements » (mais que demande-t-on concrètement : une larme ou un poste ?) ; une réunion du comité de liaison de la section 36 avec la direction de l’InSHS…
Tout cela est bien sympathique, mais doit-on s’en satisfaire ? Est-ce vraiment tout ce que nos collègues titulaires, en particulier membres de la section 36, peuvent faire ? La section 36 peut théoriquement finir son mandat en prenant le risque de se faire à nouveau ignorer par une direction de l’InSHS qui ne daigne toujours pas clarifier les critères de sa « politique scientifique », quitte à se dédouaner de toute responsabilité (3). Elle peut s’indigner à chaque début d’été et oublier à l’automne n’avoir obtenu aucun résultat…
Nous proposons donc à nos collègues sociologues, politistes et universitaires en général d’engager une véritable réflexion sur le fonctionnement des jurys en vue d’une transformation drastique des pratiques. La participation des jeunes chercheu.se.s à ces jurys pourrait être un grand pas vers moins d’hypocrisie et plus de transparence. Nous en avons assez de nous indigner : il est temps d’agir collectivement. En outre, nous demandons instamment au CNRS de réparer le dommage causé aux déclassés en ouvrant exceptionnellement deux postes supplémentaires. Enfin, aux côtés des collègues mobilisé.e.s sur cette question, nous exigeons des créations massives de postes (CR, DR, IGE et IGR, administratifs, documentalistes…) afin de palier à la pénurie organisée de personnels scientifiques.
(1) Les affrontements entre la direction de l’InSHS et les sections s’inscrivent dans une histoire longue. Intervention de Michel Blay au séminaire « Politiques des sciences », le 15 janvier 2018.
(2) Voir ce texte de Stéphane Beaud, Valérie Boussard, Romain Pudal (membres de la section 36) et de Christian Topalov (ancien membre du comité scientifique de l’InSHS).
(3) Voir le message de Valérie Boussard envoyé sur la liste de l’ASES le 26 juin, intitulé « réaction personnelle à la pétition “Déclassements au CNRS : ne restons pas sans rien dire”.