Les Assises « Recherche-Industrie-Territoire » du 11 décembre 2006 étaient coorganisées par : La CGT et son Ugict ; La CFE-CGC ; La FSU ; L’Union Syndicale Solidaires ; L’Unef ; Sauvons la Recherche (SLR) ; La Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC) – avec la participation de l’Association Bernard Grégory (ABG) et d’Eurodoc.
On pourra souligner la non-présence sur les lieux de représentants de l’UNEF.
Les assises se sont tenues le lundi 11 décembre 2006 de 9 heures 30 à 16 heures 30 au Complexe CGT – Salle du CCN 263 rue de Paris à Montreuil 93.
L’ANCMSP était présente à ses assises et vous donne un compte rendu des débats et des positions portés notamment par la CJC et Eurodoc dont elle fait partie. (Cf le dernier System D)
Table ronde #1 : « Regards croisés sur le bilan »
– Henri Audier (SNCS) :
Henri Audier dénonce la stagnation des moyens, les dégrèvements fiscaux, les agences ; le retard de la France et l’Europe en matière de recherche ; le manque d’attractivité de la recherche (notamment : création de CDD) ; concernant les membres de l’ANR, des pôles entièrement nommés, pas mieux pour l’agence d’évaluation. Il dénonce le choix politique d’une ANR autoritaire. Tout le système est mis « à la remorque de l’innovation », ainsi que la place du crédit d’impôt et des fondations. Fondamentalement, on assiste à la disparition de tout ce qui était solidarité remplacé par de la concurrence avec des financements majoritairement sur projets.
– Florent Olivier (CJC) : « jeunes chercheurs et emploi scientifique »
Rappel des chiffres sur le doctorat : 70 000 personnes en doctorat ; 10 000 personnes par an deviennent docteurs et il n’y a que 2 000 à 3000 postes de chercheurs par an. De plus 11% de docteurs cherchent encore du travail après leur diplôme. Il faut noter la démultiplication des CDD de toutes sortes pour les jeunes chercheurs.
Ainsi les doctorants et docteurs souffrent d’un manque de reconnaissance effectif. Même si cette reconnaissance est bien inscrite dans le nouveau pacte de la recherche, ce qui est un progrès.
Il faut noter une nouvelle définition du doctorat dans la loi : « le doctorant est une expérience professionnelle permettant d’acquérir le grade de docteur au terme de trois années de recherche ». Cependant, cette reconnaissance reste verbale. Le doctorant doit être considéré comme un chercheur et le doctorant-moniteur comme un enseignant chercheur et ils doivent bénéficier des mêmes avantages. La CJC souligne que le nouvel arrêté du 7 Août relatif à la formation doctorale qui concerne en partie les écoles doctorales (EDs) entraîne une évaluation « par l’excellence » alors qu’il aurait été bien plus pertinent d’une évaluation « au mérite » (ie : ne pas entraîner une surconcentration des moyens dans les mains de quelques privilégiés).
– Syndicats d’EDF R&D : Il note une diminution drastique de la recherche fondamentale à EDF. Le développement des partenariats public-privée s’est ainsi traduit par la fermeture de postes dans les entreprises. Il souligne une augmentation de la souffrance au travail due à la dégradation de ces conditions de travail.
– Jacques Bauquer (secrétaire régional CGT Franche-Comté)
La Franche-Comté est la région la plus industrielle de France, avec les problèmes de désindustrialisation qui vont avec. La mise en place de pôles de compétitivité s’est déroulée mais sans concertation avec les syndicats (seul des grands patrons ont été consultés). Problèmes des pôles de compétitivité : pas de responsables sociaux présents dans leur conseil d’administration, et un manque de représentativité.
Débat :
– Une chercheuse de l’INRA : ce manque de transparence pose le problème de l’impossibilité d’évaluer l’usage des fonds fait au sein des Pôles. D’autre part, on privilégie certaines recherches pour leur potentiel industriel marchand plus que pour leur valeur scientifique. Enfin, cette nouvelle structuration, cette dépendance des laboratoires aux Pôles de compétitivité (de leur inscription dans ces pôles dépend leur budget) a cette conséquence que ce sont les chercheurs du publics qui en viennent à faire la recherche du privé. Alors même que les chercheurs du privé ont besoin de la recherche à long terme faite dans le public. Les entreprises manquent de vision sur leur recherche à long terme, ce sont les directions financières qui dictent leur volonté.
– un économiste : sur les Jeunes Chercheurs, problème d’offre mais aussi de demande : l’existence de l’anneau de stockage en lui-même décourage certains bons éléments !
– nuances sur l’intervention d’Audier : on se demande même si le pacte a une vraie cohérence interne…
– nuance sur les pôles : ne sont pas vraiment positifs en terme d’emploi, les entreprises auraient plutôt tendance à diminuer leurs labos de recherche une fois qu’ils arrivent à travailler correctement avec les labos publics.
– beaucoup de gens souhaitent une modification de la gouvernance des universités et des organismes (que ce soit la CPU, le MEDEF, …).
– question-clé de l’articulation solidarité/compétitivité, en fin de compte il faut quand même produire des produits compétitifs.
Réponses :
– Audier : sur les jeunes chercheurs : en 2 ans de recrutement à 5000 / an, on « écluserait le stock » ; sur l’innovation : une question sous-jacente est la stabilisation du capital puisque beaucoup d’efforts peuvent être ruinés par des OPAs. Il est clair que les pôles de compétitivité n’ont pas de logique globale (certains ont une envergure européenne, d’autres à peine régionale…). Enfin, les problèmes d’innovation viennent aussi du fait que la structure de l’industrie française est très faible en terme d’industries technologiquement avancées.
Table ronde #2 : Comment garantir un développement de la recherche, de l’industrie et des territoires fondé sur de véritables coopérations public/privé et une cohérence des échelons régionaux, nationaux et européens ?
– Didier Roux : directeur de la R&D de St Gobain.
Selon lui les grandes entreprises se doivent de mettre en œuvre un effort de recherche afin de garder une position de leader sur des marchés innovants ; créer de nouveaux marchés (« les entreprises qui savent se positionner à l’avance sur les marchés émergents acquièrent une avance primordiale »).
Public / privé : le privé recherche la qualité (ie : des labos qui soient compétitifs au niveau international dans leur domaine de recherche). Pour cela : SG cherche à avoir un réseau de recherche international ; ils souhaitent des relations construites sur la durée pour permettre la confiance. La notion de court-terme prestataire est une fausse idée. Cela permet également d’embaucher des thésards parmi les meilleurs du monde, qui deviendront les cadres de demain. Ils n’embauchent que des docteurs, l’idée franco-française d’embaucher des ingénieurs pour faire de la recherche est là encore une illusion. En effet, selon lui le cursus de 5 ans d’ingénieurs n’est pas suffisant, selon lui, pour entrer dans l’univers de la recherche de pointe. Cette prévalence donnée à l’ingénieur sur le docteur est une exception française pas forcément positive.
– Daniel Steinmetz : fait remarquer que depuis 82 faire monter l’effort de recherche n’a pas permis d’endiguer le chômage ; de même, faire un effort de recherche avec l’idée de conserver la production chez nous n’est-il pas une illusion ? On n’est pas non plus à l’abris de transferts vers l’Inde ou la Chine des capacités de recherche aussi. Mais la recherche n’est qu’un élément : l’investissement par OPA est en croissance, et peut peser beaucoup plus qu’un effort de recherche sur le long terme, donc la question du capital est un élément primordial aussi. Note d’EDF que l’on assiste à une baisse de la technicité des ingénieurs (et universitaires) car on leur demande aussi maintenant des compétences linguistiques / management, et le temps qui est passé là-dedans doit bien être pris sur les compétences en maths/physique/info. Le CNRS se situe à présent dans une perspective de recherche de financements large, plus large que franco-française ; la part la plus importante vient de l’ANR, les entreprises ne viennent qu’en 3ème. Il semble même que la part des contrats industriels baisse au profit des contrats ANR, pour des raisons qu’il faudrait expliciter (facilité plus grande de demander des contrats ANR ? Manque de lisibilité de la recherche publique avec le foisonnement illisible des pôles de compétitivité, RTRA, …). Il souligne enfin le statut précaire du chercheur qui risque de devenir un simple consultant dans une entreprise
– Magali Ballatore (Eurodoc) :
Rappels sur les avancées permises par Eurodoc.
Difficultés : statut du doctorant et du financement (82% en sciences dures, + de 70% en sciences de la vie, 22% en SHS), problèmes d’encadrement et de charge de travail (tant d’enseignement qu’administratives), manque de reconnaissance des tâches annexes d’enseignement et administratives. Multiplication des CDD avant éventuel recrutement. Mauvaise représentativité des jeunes chercheurs dans les conseils représentatifs des universités. Augmentation des « post-docs ». La difficulté des conditions de travail conduisant à l’élimination progressive des femmes au fur et à mesure que l’on avance : doctorat, MdC, prof…
– Martine Pretceille (professeur des universités en sciences de l’éducation -Paris 8 – mise à disposition pour diriger l’ABG).
L’ABG est soutenue par 4 partenaires principaux : MESR, MAE, CEA, CNRS.
Finalités :
– 1 : aide aux débouchés ;
– 2 : sortir les docteurs de l’anonymat (mauvaise reconnaissance du titre de docteur, tant dans le privé que le public), manque de reconnaissance des compétences des docteurs par le monde économique voire académique.
Il y a donc la nécessité d’une vraie visibilité des EDs par le monde économique (visibilité, pas soumission). « les doctorants ont besoin d’être accompagnés dans leur insertion professionnelle », « certes les universitaires n’ont pas été recrutés pour ça et ne sont pas compétents pour ça, mais alors il faut nouer des partenariats ». il faut selon elle renforcer les EDs, leur visibilité, leurs moyens (un directeur d’ED devrait avoir une décharge, les EDs devraient avoir toute la transparence sur leur fonctionnement et leurs débouchés).
Les doctorants ne savent pas faire un CV à destination d’une entreprise, au mieux (…) ils savent présenter leur thèse. Nécessité de créer un réseau des doctorants car en France l’emploi passe en très grande majorité par le réseau (autrement dit, les connaissances et les proximités).
Pretceille souligne que le nombre de docteurs est en décroissance (de 10 000 vers 9 000). L’accompagnement professionnel devient une nécessité pour le développement même de la recherche, « sélectionner plus » en tant que tel n’a pas de sens.
Réactions :
– Debrégeas (SLR) : St Gobain n’est pas statistiquement représentatif des entreprises, dans l’ensemble elles baissent leurs investissements pour privilégier la rentabilité de court-terme. Donc : pourquoi ça marche à SG et pas ailleurs ? Quelles sont les politiques publiques qui pourraient favoriser ce type de comportement ? A SLR, on pense notamment que le crédit impôt-recherche actuel n’est pas réellement incitatif.
– Manque de recherches sur le système bancaire international et les stratégies des entreprises (cf rapport récent sur les SHS à l’INRA).
– Réponse Didier Roux sur l’ANR : elle devrait consister majoritairement en programmes blancs. C’est une fausse idée de penser qu’on va aider les entreprises en finançant des programmes apparemment industriels qui cachent en fait souvent des lobbies, qui n’ont pas toujours des finalités industrielles.
Table ronde #3 : Propositions, axes et lieux d’interventions pour les salariés, les syndicats
– Sylvain Delaître (CGT Thalès) : alors que Thalès n’a été que très récemment privatisée (1998), on nous ressort aujourd’hui comme une grande première que Thalès participe aux pôles de compétitivité ; sans compter des problèmes de démocratie : les mêmes peuvent être directeur technique Thalès et diriger des pôles de compétitivité.
– Pierre Duharcourt : problème de cohérence dans l’action gouvernementale. Dans le processus de Lisbonne, il y avait 3% pour la recherche, mais aussi 2% pour l’enseignement supérieur. Le problème dual de « l’anneau de stockage post-doctoral » et du manque de vocations scientifiques est dû à un manque de visibilité sur les débouchés. Nous avons besoin de remettre de la démocratie, à commencer dans le Haut Conseil de la Science, l’agence d’évaluation. Il rappelle ce qui avait été dit lors des Etats Généraux de la Recherche (EGR) : organismes forts pour définir des programmes, avec nécessité ultérieure d’évaluation. Alors la place restant pour les agences est réduite. Une question soulevée par les EGR était, déjà, d’arriver à faire collaborer les divers acteurs académiques (organismes, universités, écoles, …).
Remarques :
– Il faudrait une représentativité syndicale au sein des pôles de compétitivité (n’est pas prévu dans leurs statuts).
– Fossey : parle de représentativité (plutôt que démocratie, un peu trop vaste). Nécessité d’une structuration plus poussée de l’intersyndicale.
– Debrégeas : aurait souhaité qu’on ressorte de cette journée avec une déclaration commune ; importance de considérer toutes les recherches tant fondamentales, appliquées ou industrielles, la différence essentielle est plutôt entre public et privé.
– Audier : Il est nécessaire de travailler en local, quand on voit ce que donnent les présidents d’université élus. Si l’on supprime l’ANR, ne pas revenir aux organismes d’avant : il faut financer, notamment les bonnes équipes.
– Notes sur l’inefficacité du pôle de compétitivité en PACA (rapport récent) : pas d’argent en plus : ça a juste labellisé des actions déjà dans les tiroirs. Les PME/PMI n’y sont pas : tout est fait pour les grands groupes. Ne permet même pas de réconcilier les aspects territoriaux entre différentes parties du pôle (chaque partie d’un pôle implanté sur différents sites essaie de tirer les avantages à soi).
Conclusions (Marie-José Kotlicki)
3 axes :
– Financements améliorés
– Plus d’emplois
– Une meilleure reconnaissance des qualifications. (créer un véritable statut du doctorant.)
Plusieurs nécessités :
– Nécessité d’instaurer de nouvelles pratiques intersyndicales.
– Les syndicats doivent pouvoir être présents dans les pôles.
– Nécessité d’une reconnaissance dans les conventions collectives mêmes du diplôme de docteur.