Les conditions de financement des parcours doctoraux

Les conditions de financement des parcours doctoraux

Intervention de Frédéric Chateigner (ANCMSP) aux 3ème Assises de la Science Politique

Cette expression de « conditions de financement », assez vague,
correspond malheureusement à la réalité, qui, pour les 80% des
doctorants en SHS qui ne sont pas financés, est la débrouille. Dans un
premier temps nous opposerons à cet état de fait la position de
principe de l’ANCMSP sur la question du financement des thèses. Dans
un deuxième temps, nous en déduirons notre position sur les
principales sources de financements envisageables.

1) Principes

Notre position est celle de la CJC, mais aussi celle de la LOPR et de
l’arrêté du 7 août 2006 qui définit le doctorat comme « expérience
professionnelle ». Le statut normal du doctorant est donc la salariat,
i.e. un revenu net et un revenu mutualisé et différé (cotisations) ;
mais aussi l’accès à ce que l’employeur est tenu de mettre à
disposition : les moyens de travail, c’est-à-dire des bureaux, du
matériel, le remboursement des frais engagés pour les colloques et les
recherches, etc.

On en est bien sûr très loin : pour les 80% de doctorants en SHS non
financés, des sources de revenu très courantes sont la générosité des
parents, les MacJob plus ou moins évolués, les allocations chômage,
voire le RMI, en passant dans le « meilleur » des cas – on y reviendra –
par la course aux vacations. Mais le fait que la situation actuelle
soit souvent dramatique ne doit pas nous entraîner à faire des
concessions sur le principe : que le travail des doctorants mérite un
salaire à plein titre, et un salaire décent eût égard à leur niveau de
formation.

Contribuer à combler l’écart entre la réalité et cet objectif implique
de toucher aux parcours doctoraux dans leur ensemble, et pas seulement
à « leurs conditions de financement ». Ce point est en général abordé
avec un accent malthusien : la limitation du nombre de doctorants. Ce
n’est pas notre position de principe. En revanche la limitation du
nombre de doctorants par directeur est prévue par l’arrêté du 7 août.
Et nous sommes favorables à l’adoption franche du modèle de la thèse
en trois ans. C’est une nécessité pratique : il est totalement
irréaliste d’espérer des financements standard au-delà de cette durée
spécialement pour les SHS, et d’espérer de surcroît que les employeurs
non-académiques se mettrons à accepter l’âge élevé des docteurs en SHS
qui continuent, faute de poste, à arriver sur ce marché de l’emploi.
Les réserves épistémologiques sur le temps nécessaire pour construire
l’objet en SHS ou sur la plus grande difficulté de la division du
travail dans ces disciplines ne justifient pas qu’on condamne même les
doctorants les plus favorisés (allocataires) à se débrouiller pour
vivre entre les trois ans règlementaires et leur soutenance.

Mais ces considérations comptables (nombre de doctorants, nombre
d’années) doivent surtout s’inscrire dans une série de modifications
qui englobe tout le parcours doctoral :

– en amont de la thèse : les laboratoires, et pas seulement les
directeurs, doivent se penser comme recruteurs de chaque doctorant, et
pas seulement les « accepter » en thèse ; l’élaboration du projet doit
s’inscrire dans les axes du laboratoire et ne pas être abandonné au
jeune doctorant (syndrôme de la première année passée à chercher son
propre sujet).

– pendant la thèse : les doctorants doivent, matériellement et
symboliquement, être considérés comme des membres du laboratoire à
part entière. La direction strictement individuelle devrait céder la
place à des pratiques d’encadrement collectif.

– en aval, les critères de qualification et de recrutement doivent
évoluer vers des dossiers réalisables en trois ans.

(Cette position de principe vaut bien sûr pour les thèses en formation
initiale : la thèse doit pouvoir être réalisée en formation continue
par les autres salariés, à condition que leur travail ne soit pas un
petit boulot seulement destiné à financer la thèse.)

2) Types de financement

De ces principes se déduisent nos positions sur les différents modes
de financement.

2.1) Libéralité.

Commençons par une victoire des jeunes chercheurs, expliquée au
dernier salon des thèses par Joël Gombin : la résorbtion des
libéralités (travail au noir). Rappelons aussi que des points noirs
subsitent, l’ennemi numéro 1 demeurant la structure-écran du MAE,
Egide ; mais aussi les bourses de la BNF, de la Fondation Charles de
Gaulle, de l’Armée… Rappelons que, les libéralités étant tenues pour
du travail au noir, la promotion de ces financements est un délit :
nous demandons à nos abonnés de ne pas diffuser d’annonces pour ces
financements douteux sur la liste ancmsp, mais au contraire de les
adresser au bureau qui les fera remonter, via la CJC, au ministère.

2.2.) Alloc (et monitorat)

Autre victoire, les revalorisations de l’allocation de recherche. Cela
peut passer pour un problème de riche ; mais le montant de
l’allocation sert de référence à beaucoup d’autres financements
(allocations régionales notamment) et est un enjeu symbolique
considérable, en ce qu’il représente le salaire « normal » d’un jeune
chercheur recruté à bac+5. La promesse du ministre Goulard de porter
l’allocation à 1,5 SMIC (simple retour à son niveau initial, avant que
l’inflation la fasse chuter) n’a certes pas été tenue : c’est une
chose. Une autre est que cette promesse ne PEUT pas être tenue en
l’état, du moins sans mobilisation des titulaires : en effet, une
allocation à 1,5 SMIC plus un monitorat (qui doit demeurer un travail
supplémentaire justifiant un complément de revenu) dépasse le salaire
d’un MCF débutant. D’après le ministère, Bercy bloquerait un tel
dépassement : notre position (celle de l’ANCMSP, mais pas de tout le
monde à la CJC) est de considérer que c’est là un problème
administratif et politique, et que la seule solution que nous avons à
y apporter est d’encourager la mobilisation des MCF, dont chacun
s’accorde à penser qu’ils sont sous-payés, et, par ricochet, des
professeurs. Le revenu des doctorants a besoin que les titulaires se
mobilisent pour le leur…

2.3.) ATER et demi-ATER

Sur les ATER, notre position de principe est qu’il doit s’agir de
financements post-thèse : un service plein n’autorise pas un travail
de recherche intensif, et le demi-service est sous-payé. Les
recrutements MCF devraient pouvoir se faire largement dans le vivier
des ATER docteurs : toutes disciplines confondus, 43% des jeunes MCF
étaient, à la dernière session, ATER lors de leur recrutement. Peut-on
citer UN SEUL exemple en science politique ?

Cependant, la perspective de la disparition des demi-ATER (qui n’a pas
du tout été anticipée…), ou du moins de ceux ne correspondant pas à
des services de titulaires en détachement/congé/etc., est une
catastrophe : à la place de deux financements, certes beaucoup trop
faibles, on aura un seul, et beaucoup trop exigeant en temps
d’enseignement. Le choix, de la part des universités, de conserver les
demi-ATER est un choix politique qui exige que les enseignants
titulaires fassent pression afin de l’emporter sur les services
comptables.

(Cela dit, on reparlera dans l’intervention sur les recrutements de la
manne de postes de titulaires que représentent la grosse moitié d’ATER
qui pourraient être convertis…)

2.4.) Vacations

On passe maintenant à l’enfer de l’enseignement supérieur : les
vacations. Censées être des équivalents de monitorat, elles servent de
financement unique à un nombre considérable de jeunes chercheurs –
dont on peut même pas estimer le nombre. La limite de 96h par an, soit
environ 300 euros par moi, payés avec des mois de retard, impose soit
de multiplier les autres sources de revenu précaire, soit de ruser en
utilisant des prête noms, en montant des sociétés…

2.5.) CIFRE

Les contrats CIFRE ont suscité beaucoup d’intérêt au dernier salon des
thèses. Depuis qu’ils sont ouverts à presque toutes les structures de
droit français possibles, elles cnstituent un gisement de financements
considérable, bien au-delà des 100 financements/an en SHS (2004, à
comparer aux 630 AR). Reste qu’une fois encore, les équipes doivent
s’investir pour négocier les conventions, afin que la thèse soit
vraiment réalisable et exploitable par le doctorant.

2.6) Allocations régionales

Même remarque pour les allocations régionales : une forte implication
du laboratoire permet de les obtenir en plus grand nombre que les AR :
c’est le cas à Grenoble.

2.7) Faire feu de tout bois…

D’une manuère générale, accorder une véritable place, matériellement
et symboliquement, aux doctorants dans les laboratoires, permettrait
de multiplier les initiatives pour monnayer leur compétence dans des
secteurs valorisant : expertise, formation continue…