Recrutement et LRU : à quelle sauce serons-nous mangés ?

La loi LRU a beaucoup fait parler d’elle ces derniers mois. « Socle » de la réforme des universités en cours selon Valérie Pécresse, elle a surtout attiré les critiques concernant la nouvelle gouvernance de l’université et les perspectives de financement par le privé de la « Nouvelle Université ». Mais le recrutement des chercheurs et enseignants-chercheurs, pourtant totalement chamboulé par la loi, n’a fait l’objet que de peu de commentaires.


La portée de la loi LRU a peut-être été mal appréciée par la communauté scientifique, du fait même de sa contestation : les débats comme les analyses se sont portés sur les points les plus saillants dans les médias ou dans les discours des organisations. C’était passer à côté de l’essentiel : la nature même de l’Université, en tant que communauté de pairs auto-reproduite, est atteinte. Classiquement, et ce dans tous les pays, le recrutement des « chers collègues » se fait par les pairs, au moyen d’une forme ou une autre de collégialité (recrutement par l’assemblée des professeurs en France avant 1968 et encore aujourd’hui dans des universités anglo-saxonnes, ou par un comité élu par les pairs comme l’était la commission de spécialistes). La loi LRU transforme radicalement cet état de fait, en confiant à l’autorité managériale (le Président et son Conseil d’administration) le pouvoir de recrutement. Aussi, il semble nécessaire de revenir sur les nouvelles modalités du recrutement des enseignants chercheurs.

Exit donc les commissions de spécialistes. Et plus vite qu’on ne l’a cru initialement : dès lors qu’une une Université a « renouvelé ses instances » (c’est-à-dire élu un CA conformément à la loi LRU), elle recrute ses enseignants-chercheurs conformément aux dispositions de la nouvelle loi . Concrètement, lorsque un poste (de fonctionnaire ou contractuel) sera à pourvoir, le Président proposera, après avis du Conseil scientifique en formation restreinte, à son CA en formation restreinte (dans lequel il est, par construction, largement majoritaire) la nomination d’un comité de sélection. Au moins la moitié des membres de ce comité devront être des « spécialistes de la discipline dont relève l’emploi à pourvoir » (notion qui pourrait donner lieu à des débats, voire du contentieux). Par ailleurs, la moitié au moins des membres du comité de sélection devront être extérieur à l’établissement, c’est-à-dire ne pas être électeur dans cet établissement. Au total, deux personnes suffisent à constituer un comité de sélection. Cas totalement imaginaire : le comité de sélection pour un emploi en science politique est constitué d’un juriste « maison » (voire même un physicien, pourquoi pas après tout) et d’un politiste « extérieur ». Et si le juriste maison est désigné président du comité, il aura voix prépondérante… et recrutera donc à lui tout seul le titulaire du poste dans une discipline qu’il ne connaît pas ! Mais il n’est pas impossible qu’on lui ait soufflé à l’avance le nom du poulain à placer… Notons également qu’il est interdit de désigner des comités pérennes (et ainsi de « prolonger » les commissions de spécialistes), la loi faisant obligation de nommer un comité de sélection pour chaque emploi ouvert.

Dans le cas des fonctionnaires (maîtres de conférence, professeurs), le recrutement est de plus en plus dépouillé de son caractère national. En effet, selon les informations dont dispose l’ANCMSP, les postes de fonctionnaire ne donneront plus lieu à une publication nationale ; seule une publication sur le site de l’université dans laquelle est ouvert le poste sera nécessaire. Par ailleurs, la loi LRU autorise le recrutement « au fil de l’eau », dès la vacance d’un poste : exit donc les deux sessions annuelles auxquelles nous étions habitués. Dans une discipline comme la nôtre, cela aura une conséquence majeure : le suivi des recrutements, tel que l’assurait l’ANCMSP depuis de nombreuses années, deviendra concrètement impossible à mener. La seule composante nationale de ce concours sera la qualification, dont l’exigence est maintenue dans la loi en ce qui concerne les postes de fonctionnaires.

Inutile d’espérer que les conditions du concours soient améliorées pour les candidats : aucun délai minimal n’est fixé pour la convocation des candidats, sinon un « délai raisonnable » ; il n’y a pas d’obligation pour le comité de motiver son choix d’auditionner ou pas un candidat. De plus, aucune durée minimale (ou maximale) n’est indiquée pour les auditions.

Pour les postes de contractuels en revanche, qui pourront être créés dans les Universités bénéficiant des « compétences élargies », point n’est besoin que l’individu recruté soit qualifié. On laisse le lecteur imaginer les dérives que cette disposition va autoriser…Si l’on ajoute à cela que ces postes ne devront pas non plus être publiés, on est là dans l’opacité la plus totale. A la limite, un président pourra recruter un enseignant-chercheur ou un chercheur en CDI sans que personne, ou presque, ne le sache jamais. Le clientélisme, le népotisme et le localisme ont encore de beaux jours devant eux à l’université !

Autre modification : les mutations et les détachements (sur des postes de fonctionnaires) ne seront plus examinés avant le recrutement au concours, mais de manière parallèle (mais pas par le même organe : par le Conseil scientifique) ; à charge pour le Conseil d’administration de trancher. Gageons que cette « solution » ne satisfera ni les candidats, qui risqueront toujours de voir un des rares postes ouverts pourvu à la mutation (après même l’audition des candidats jeunes docteurs !), ni les titulaires, qui verront leur droit à la mutation un peu plus diminué.

Enfin, le recrutement des ATER sera désormais effectué par le Conseil scientifique qui transmet son avis au Président. On peut légitimement se demander comment se détermineront ces instances dans les cas – fréquents – où ils devront pourvoir des postes dans des disciplines non représentées au Conseil scientifique, ou représentées de manière marginale. Gageons qu’à nouveau l’autonomie des « petites » disciplines comme la nôtre sera fortement remise en cause… On ne peut également qu’encourager les collègues à investir ces instances afin d’y défendre notre discipline. Sans quoi nous risquons de nous réveiller, titulaires comme candidats, avec une sacrée gueule de bois…