Suppression de la limite d’âge des vacations: une victoire pour les jeunes chercheurs?

Chères et chers abonné.e.s,

Saisi par le syndicat Agir pour les Doctorants de Nanterre, le Défenseur des Droits a annoncé la prochaine suppression de la limite d’âge pour les agents temporaires vacataires (ATV). Pour rappel, le décret n°87-889 du 29 octobre 1987 distingue deux types de vacataires : les chargés d’enseignement vacataires (CEV), pour lesquels il n’existe pas de limite d’âge, mais qui doivent justifier d’un employeur principal – ou de la preuve qu’ils exercent une activité libérale, par exemple en tant qu’“auto-entrepreneur” – et les ATV, qui doivent justifier de la préparation d’un diplôme de troisième cycle, et qui devaient jusque-là ne pas avoir dépassé 28 ans. Cette limite d’âge saute. Doit-on crier victoire ? Examinons le rôle que jouent les vacations dans la division du travail universitaire, et les conséquences probables de la suppression de cette limite d’âge si le ministère devait effectivement la prononcer.

Les vacations demeurent la forme de rémunération du travail la plus désavantageuse qui soit dans les établissements publics d’enseignement et de recherche. Les vacations, ou rétributions à l’heure (40 euros bruts pour une heure de TD, 60 euros bruts pour une heure de CM) sont payées à la pièce, aux calendes grecques. Elles ne sont pas comptabilisées dans le calcul des droits à l’assurance chômage. Lorsque l’État impose aux vacataires de prouver qu’ils ont un statut principal (étudiant, libéral, salarié), c’est d’ailleurs pour faire des économies sur ces cotisations. Les documents fournis par le vacataire permettent à l’université de justifier auprès de l’URSSAF et de la CPAM que quelqu’un cotise déjà pour lui et qu’elle n’a donc pas à le faire.

Drôle de travail que ces vacations… parfois attribuées dans le cadre de relations de domination personnalisées. Sans la protection d’un contrat de travail, les vacataires ne peuvent compter que sur leurs propres ressources, inégales selon le genre et la trajectoire sociale, pour résister aux abus éventuels de l’employeur. En outre, la loi permet de faire travailler gratuitement les ATV : ils “sont soumis aux diverses obligations qu’implique leur activité d’enseignement et participent notamment au contrôle des connaissances et aux examens relevant de leur enseignement. L’exécution de ces tâches ne donne lieu ni à une rémunération supplémentaire ni à une réduction des obligations de service fixées lors de leur engagement” (art. 5 du décret). Souhaite-t-on multiplier à l’Université le type de carrières dénoncées par le Collectif de Strasbourg, faites de vingt heures d’enseignement par semaine pour 1000 euros mensuels sans droit à l’assurance-chômage ? Devrions-nous applaudir la généralisation programmée de cette forme d’exercice du métier académique ?

La décision du Défenseur des Droits, si elle devait se traduire par une modification par le gouvernement du décret de 1987, aurait pour première conséquence possible de créer des carrières d’ATV au long cours, se réinscrivant chaque année en thèse pour exercer ces fameuses vacations. Autres conséquences sur les postes d’ATER : dans une Université en semi-banqueroute, certains départements préfèreront faire effectuer leurs 200h d’enseignement par un ATV, pour un coût de (40*200=) 8000 euros. Pour la même charge d’enseignement, un ATER coûterait (12*1800=) 21600 euros. Ces dernières années, le nombre de postes de demi-ATER et d’ATER a beaucoup diminué. Nous assistons maintenant, par la grâce d’une décision du Défenseur des Droits, à l’extension possible du domaine des vacations. Cette direction prise par les services d’enseignement à l’Université pourrait-elle se traduire, dans certaines disciplines, par un gel des recrutements de MCF et de PR ? Rien n’interdit, à moyen terme, de le penser.

Certains répondront : «Pas de panique ! L’article 5 du décret stipule que le service des ATV ne peut au total excéder annuellement, dans un ou plusieurs établissements, 96 heures de travaux dirigés ou 144 heures de travaux pratiques !» Un rappel : le droit ne vaut que s’il se donne les moyens d’être appliqué. Cet article du décret n’a jamais été suivi dans les faits de la création d’un organisme national de suivi des carrières d’ATV. Rien n’empêche donc plusieurs universités différentes de confier chacune 96 heures de TD à la même personne… voire de ne pas respecter le plafond horaire imposé par le décret !

L’étrange propension du monde académique à se vivre comme un lieu enchanté, où le travail ne mérite pas forcément salaire puisqu’il est d’abord une vocation ou un pari, a souvent pour conséquence une totale absence de réflexion sur les rapports de pouvoir à l’Université. Une telle réflexion n’est d’ailleurs pas inscrite à l’ordre du jour des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le ministère et les présidents d’universités semblant presque promouvoir un enseignement supérieur d’ «excellence» mais sans enseignants-chercheurs, et bientôt sans enseignement et sans recherche. Le sujet ne manquerait donc pas d’intérêt… pour les vacataires, mais aussi pour les titulaires, à qui l’on demande de gérer ces personnels sous-payés souvent aussi qualifiés qu’eux. Une discussion collective sur ce que l’on désire comme organisation du travail à l’Université ne semble pas un luxe, à l’heure où la course à la rustine sur les emplois du temps et sur les fiches de paye semble être l’horizon immédiat du métier universitaire.

Cordialement,

Le bureau