1er février 2016, Critères pour la qualification et le recrutement MCF

Un débat a été lancé sur la liste le 1er février concernant les critères pour la qualification et le recrutement des maîtres de conférence. Est également abordée l’agrégation de science politique. Voici la teneur des débats :

Question

Bonjour,

Permettez-moi de m’interroger sur un récent résultat de recrutement. Je ne vais pas le citer explicitement, parce que je ne sais pas si on peut faire des choses comme ça sur cette liste, mais ce n’est pas difficile à trouver.

Par ailleurs, mon propos dépasse ce cas particulier.

Donc : le comité de sélection a en l’occurrence classé en premier un/e candidat/e qui n’a, apparemment, aucune publication. Pas d’article. Pas de chapitre. Pas de bouquin. Ou alors des trucs à paraître. Mais rien qu’on puisse trouver sur le web et les moteurs de recherche des bibliothèques.

J’avais cru comprendre que, désormais, en section 04, on ne pouvait être qualifié, et plus encore, recruté, que sur la base d’un dossier de publications solide. C’est une ligne de conduite qui me semble pertinente, compte tenu du grand nombre de candidats, de la rareté des postes, et de la nécessité de lutter contre les excès du localisme.

Comment expliquer, alors, que le CNU ait pu qualifier ce/tte candidat/e, et que le comité de sélection ait ensuite choisi de le/a classer premier/e, avec un dossier aussi vide ? Qu’en est-il des autres candidats sur ce poste?

Si quelqu’un a des lumières sur les critères EFFECTIVEMENT en vigueur au CNU, cela m’intéresserait de les connaître. Et je pense que de nombreux doctorants et docteurs partagent ma curiosité.

Réponses

1ère réponse

Chères toutes et tous,
Comme d’autres sans doute, j’ai été interpelée par les échanges sur la liste et dans des discussions informelles au sujet des critères de qualification. Aussi, je me permet de répondre sur cette même liste non pour prendre position sur un dossier dont j’ignore tout.

Ma courte expérience de membre du précédent CNU m’a confirmé que les critères attendus et retenus pour la qualification sont ceux qui sont explicités et donnés sur le site de la section. Les critères sont rappelés chaque année par la présidence du CNU04, ils sont explicités dans les formulaires de candidature et mentionnés de manière très précise sur le site de la section.

Par ailleurs, il me semble que le CNU n’a pas à se justifier d’une procédure de recrutement qui ne le concerne pas.

2nde réponse

Bonsoir,

Puisque la question des critères de recrutement est abordée, je me permets de partager une prise de position de Pierre Favre au sujet d’un concours national de recrutement des maître.sse.s de conférences (avec une épreuve anonyme, la révolution!). Elle date de quelques années mais je suis tombé dessus par hasard il y a quelques jours. Elle me semble toujours d’actualité: http://www.afsp.msh-paris.fr/observatoire/metiers/favre2008tribunesystemed.pdf

3e réponse

Chers tous,

pour rebondir sur la discussion amorcée sur cette liste et après la lecture du très stimulant texte de P Fabre.

– la quantité de candidats n’oblitère a priori la possibilité d’avoir des critères objectifs. Elle permet de garantir une éthique et des pratiques de recrutement un peu plus claires et surtout opposables! Le classement des candidats en fonction de critères objectifs établis à l’avance à l’échelle nationale serait déjà un + (avec une tentative d’objectivation par exemple de la variable « sympa » s’il vous plaît!). Ces critères pourraient être déclinés/précisés marginalement d’une institution à l’autre en fonction de objectifs de l’université, de ses besoins, explicité dans la fiche de poste (par exemple). Le CNU pourrait avoir ce rôle d’établissement de critère nationaux contraignants, de contrôler les modalités de recrutement plutôt que d’accord une qualification peu signifiante… Il s’agit d’une instance élue, qui dispose donc d’une légitimité et d’un mandat clair et peut prendre en charge cette fonction de garde fou…

– si l’idée d’un recrutement national homogénéisé permet de limiter les effet négatifs du fameux localisme, je ne suis en revanche pas du tout convaincue que l’agrégation de scpo soit un modèle de transparence, d’équité, ni même qu’elle permette de tester des compétences ou des connaissances pertinentes pour le métier d’enseignant-chercheur. De manière générale, les agrégations du supérieur souffrent en l’état d’un déficit de légitimité dramatique en économie, en droit, en science politique, en médecine… elle incarnent plutôt l’essence même du mandarinat, du parisianisme, de la cuisine politique du champ universitaire… Plus grave, elles promeuvent une vision au mieux désuète au pire réactionnaire de ce qu’est l’enseignement. Sans parler de l’absence quasi totale de l’évaluation des parcours de recherche par la plupart des jurys. Si une institution est bien absurdement décalée par rapport aux enjeux de notre profession, c’est bien celle là et le nombre de candidats qui s’y présentent chaque année est un signe de son déclin.

– j’avoue que l’idée d’un concours national partiellement anonyme et partant peut être plus équitable est séduisante. C’est l’anonymat surtout d’une partie des épreuves qui me séduit. Un certains nombre de biais sont ainsi contrôlés…
Mais quid de l’approche par le marché…? Elle a été adoptée dans tous les pays occidentaux pour recruter les « meilleurs » à l’échelle globale ? Ses imperfections sont connues et proches de celles mentionnées dans le texte de Pierre Favre (asymétrie de capital, interconnaissance, asymétrie d’information, politique du champ etc.). Peut être qu’en bonne sociale démocrate j’idéalise la possibilité de conserver les avantages des deux systèmes en minimisant leurs inconvénients: le centralisme démocratique étatisé et le libéralisme échevelé…

Mais soyons pragmatique: nos collègues sociologues et économistes du travail spécialisés sur le monde universitaire et scientifique ont déjà exploré toutes les dimensions de cette question, et proposé des analyses comparées des systèmes de recrutement dans le temps et dans l’espace… Peut être qu’une option raisonnable serait d’utiliser l’expertise du champ sur le champ?

4e réponse

Cher tous et toutes

L’agrégation du supérieur a bien des défauts, un gros avantage aussi: permettre à des personnes qui visiblement la connaissent par oui-dire de proférer des malédictions rituelles ou d’écrire des contre vérités qu’il est difficile de ne pas caractériser comme démagogiques. Un jury qui fait son travail ( ce n’est pas un pléonasme, mais cela existe) peut parfaitement valoriser fortement l’épreuve sur travaux. J’aimerai savoir ce qu’est une vision « désuète et réactionnaire » de l’enseignement quand il s’agit de traiter pédagogiquement en 30 ou 45 minutes d’un sujet dans une matière où on se revendique spécialiste. Je ne connais pas d’autre procédure de recrutement en France qui teste les futurs collègues en situation de faire ce qui ressemble fort à un cours. Une manière d’objectiver les mérites (et les limites assurément) de la procédure d’agrégation serait de dresser la liste de ceux et celles qu’elle a permis de faire passer professeurs , disons depuis ses récentes origines dans notre discipline (un quarantaine d’années) et de regarder ce qu’ils et elles ont produit depuis… il n’y a pas que des choix rétrospectivement indiscutables, mais il y a beaucoup de choix raisonables qui -jugés à l’aune des travaux scientifiques et de l’investissement dans les institutions de notre métier- ont donné des responsabilités à des collègues de qualité, par une procédure qui n’est surement pas inférieure aux autres en usage, ou à celles 100% locales qu’on nous prépare.
Puis je suggerer de jeter un oeil sur le rapport du jury sortant http://www.afsp.info/omasp/agregation/archivesagreg.html . On verra qu’il ne fuit pas une série de critiques sévères que mérite cette procédure, qu’il suggère un certain nombre de moyens de l’améliorer. Il peut y avoir là une base pour une discussion critique un peu moins lapidaire, un peu moins démago
Cordialement a tous
Erik NEVEU
Président sortant et « absurdement décalé », du jury » mandarinal, parisien, réactionnaire et ignorant de la recherche » de l’agrégation en 2014-15.

PS Allez aussi regarder la liste dudit jury: cela correspond pile poil à ces adjectifs !

5e réponse

(Je poste ceci à l’usage des jeunes docteur.e.s qui arrivent sur le marché, en réponse à la demande « d’éclairer les lanternes des outsiders ». Ce post n’a pas vocation à épuiser le débat, ni à expliquer scientifiquement les recrutements, ni à les excuser).

D’abord, on peut critiquer les recrutements, mais pas la personne recrutée. Ce n’est pas de sa faute. Le problème, c’est comment les recrutements sont organisés.

Sur un poste de mcf, vous pouvez avoir 200 candidats. Le recrutement se joue sur des critères multiples : les publications certes, mais aussi l’adéquation au profil, la composition du département, la perception de la collégialité (est-ce que vous avez l’air sympa), la perception de la capacité à enseigner, etc. Tous ces critères ne sont pas nécessairement illégitimes.

Dans ce contexte, vous pouvez être éliminé pour n’importe quel prétexte. Voici une liste non exhaustive des propos (évidemment éliminatoires) que j’ai entendus sur divers candidat.e.s :
– « pas assez de publis »
– « beaucoup de publis, c’est plus un profil de chercheur »
– « je n’aime pas son directeur de thèse »
– « je n’aime pas l’institution universitaire dont il vient »
– « il n’a que des publis comme coauteur, c’est un signe de faiblesse »
– « il n’a que des publis comme seul auteur, il n’est pas collectif »
– « il a une dégaine à travailler dans un cabinet ministériel »
– « trop vieux »
– « trop jeune »
– « il est stressé en audition, il saura pas tenir un amphi »
– « pas assez international »
– « très international, il va être arrogant »
– etc.

D’une manière générale, quel que soit votre cv, il y a dedans une raison de vous éliminer.

Rappelez-vous que même des critères « objectifs » comme les publications sont incommensurables. Un article dans telle revue sera perçu comme un plus par un membre du jury, et comme un signe d’appartenance sectaire par un autre. Combien un livre vaut-il d’articles de revue ? Comment compare-t-on les articles dans les revues comme RFS / RFSP avec les articles dans les revues de champ ? Quelle est la valeur des publications en anglais ? Il n’y a pas de consensus sur ces questions.

Comprenez la situation du comité de sélection : les membres internes recrutent un collègue pour au moins vingt ans. Personne ne veut devoir supporter une personne déplaisante pendant vingt ans. Donc le comité de sélection va avoir tendance à s’assurer que le candidat est sympa. Cela favorise les candidats locaux, et les candidats qui sont connus des membres du jury. En l’absence d’interconnaissance personnelle, la rumeur fait foi. Ce qui vous protège de la mauvaise rumeur, c’est d’avoir plein d’amis. C’est pourquoi les doctorants socialisés dans des cliques très cohésives ont plus de chance d’être recrutés.

Gardez à l’esprit qu’avec la rareté des postes et la non-interdiction des recrutements locaux, les facs ont intérêt à recruter local, afin que tous leurs docteurs ne finissent pas chômeurs. Dans un tel système, la fac perdante est celle qui s’interdit de recruter local : les autres en profitent, et ses docteurs ont une plus grande chance de chômage. Dans certains pays, le recrutement local est honteux et interdit.

Ensuite, un recrutement se joue essentiellement sur l’audition – les fameuses 20 minutes. Dans certains pays, les auditions durent deux jours, les candidats rencontrent individuellement les membres du département (une demi-heure avec chacun), la présentation en séminaire dure deux heures. En France, c’est souvent 20 minutes, 10 minutes de présentation et 10 minutes de questions.

Parfois, seul un ou deux rapporteurs ont une pleine connaissance du cv et des publications du candidat. Si le rapporteur n’aime pas ce que vous faites, a un autre candidat en tête, etc., vous êtes éliminé. L’erreur du débutant, en audition, est de croire que les jurés connaissent votre cv. Parfois c’est le cas, parfois non. Parfois, les jurés n’ont sur vous qu’un formulaire A4 avec des cases cochées (« le candidat a un doctorat », oui / non, « le candidat a une expérience d’enseignement », oui / non). En audition, il ne faut s’étonner d’aucune question.

Les 10 minutes de questions sont déterminantes : on peut vous poser des questions pour vous faire briller ou vous mener un interrogatoire inquisitorial. On peut vous poser une question qui dure trois minutes et qui est en fait un réquisitoire contre vous (vous êtes éliminé). Les 10 minutes peuvent durer 8 minutes, parce qu’en fait tout le monde sait bien qu’on vous a auditionné pour la forme. Vous avez payé votre billet de TGV pour rien – mais certains membres du jury pensent qu’ils vous ont fait un grand honneur en vous auditionnant. Dans certains pays, les facs financent le déplacement des candidats.

Ensuite, lors des délibérations, il suffit que votre rapporteur soit timide, ou peu légitime, ou qu’il y ait une inimitié personnelle entre votre rapporteur et un autre membre du jury, pour que vous soyez éliminé. Vous n’avez rien fait de mal ; vous n’avez pas eu de chance.

Il est impossible, quand on est candidat, de ne pas prendre personnellement les vexations, les humiliations et les bizarreries du processus de recrutement. Parfois on a raison d’être parano, parfois on a tort. D’une manière générale, la compétition pour les emplois est maximale dans les secteurs en déclin. Les conseils qu’on peut vous donner a minima, c’est d’avoir une détermination de fer et de vous faire aider par le maximum de gens.

6e réponse

Merci de cette tentative d’explicitation des pratiques qui existent de fait (à quand la sociologie de l’ESR… qui serait gage de réflexivité…). J’ajoute que c’est ce que tout bon directeur de thèse / école doctorale devrait dire à tous ses doctorants, alors que c’est trop souvent le brouillard qui prévaut. Trop souvent, ce n’est qu’après que l’on comprend, bien plus tard – trop tard, si vous ne bénéficiez pas du capital culturel nécessaire. Le problème est aussi qu’avec énormément de candidat.es, dont beaucoup sont très bien, il n’y a plus beaucoup de critère « objectif » pour choisir, puisqu’ils sont tous remplis d’une certaine manière

Tout ça évidemment implique des questions plus larges que le recrutement, dont les enjeux restent souvent très pratico-pratiques comme indiqué, sur la situation de l’université dans la société, son rôle (reproduction sociale? émancipation? savoir savant/élitiste/surplombant?), son articulation avec les autres sphères (place des non-universitaires?)

Je signale notamment la Revue du Mauss sur le sujet
http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1.htm

7e réponse

Très bonne analyse, et voici un carnet de recherche qui apportera quelques conseils, toujours bons à prendre en compte !

http://academia.hypotheses.org/category/conseils-aux-candidats

8e réponse

Bonjour

Dans la liste dressée par F Bonnet, certains prétextes pour écarter des candidat.e.s sont clairement illégaux. Ainsi, écarter un.e candidat.e parce qu’il est « trop jeune » ou « trop âgé.e » est l’un des cas de discrimination définie par l’art. 225 du Code Pénal et punie par trois ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende. La décision du jury ayant commis l’acte discriminatoire est frappée de nullité. Autrement dit, certains recrutements peuvent être annulés si les membres du jury acceptent de témoigner du caractère discriminatoire de la délibération.

Travaillant sur ces thématiques, je serais curieuse de savoir ce que « trop international » signifie exactement.

8e réponse

Pour rebondir suite au mail [précédent] avec lequel je suis entièrement d’accord, il me semble bon de rappeler:

-que les critères du CNU pour la qualification sont très clairs et connus et n’ont pas vocation à établir un « pré-recrutement ».
Quelqu’un ayant effectué une bonne thèse avec un bon rapport et des expériences d’enseignement peut donc être qualifié.

-que la responsabilité des recrutements revient aux comités de sélection, au sein desquels le/la président(e) joue un rôle important.

Mais j’ai peur que lorsqu’un jury est présidé par quelqu’un qui ne publie plus en science politique depuis des années,
et dont on peut même se demander si il/elle est encore véritablement un(e) enseignant(e)-chercheur(e) dans cette discipline,
ou ne se consacre pas plutôt à un autre métier, cumulant par là-même les honneurs et les rémunérations,
il n’y ait pas grand chose à attendre pour les malheureux candidats qui eux, veulent réellement faire partie de cette profession
sur la base de leur mérite, de leurs enseignements et de leurs publications en tant que chercheur.