Bonsoir,
La gestion de la liste mail est une des activités les plus visibles de l’ANCMSP du fait de notre grand nombre d’abonné·e·s (plus de 4700), bien que cela représente en temps normal pour le bureau une tâche routinière assez formalisée.
Historiquement, l’ANCMSP n’abonne pas de collectifs anonymes ou d’adresses sous pseudo (même si c’est très compliqué à vérifier pour le second cas) pour des questions de responsabilités légales des contenus qui sont postés, entre autres choses. Bien que la législation ne soit pas tout à fait claire sur ce sujet, nous partons du principe que dans le cas de messages anonymes, nous sommes la seule personnalité juridique et morale (comme dans le cas d’un éditeur qui publierait un ouvrage signé sous pseudo par exemple) et que de ce fait nous portons potentiellement la responsabilité juridique des messages formulés par d’autres sous anonymat. Il est arrivé que des messages sur la liste soient envoyés sous pseudo, ciblant telle ou telle personne, ou telle ou telle pratique. Régulièrement par le passé, nous avons reçu en privé des courriels de la part d’abonné·e·s mis·e·s en cause, qui nous ont menacé·e·s de nous attaquer au tribunal du fait de l’anonymat des auteur·e·s de messages les visant ; ce n’est donc pas une question purement théorique. Contrairement à d’autres listes de diffusion académiques, nous sommes opposé·e·s à toute modération des échanges, justement pour permettre la liberté de parole. Dans le cas de collectifs anonymes ou (sur un registre totalement différent) d’adresses qui ressemblent à des spams, notre politique traditionnelle est de ne pas les abonner, bien qu’il arrive que certaines adresses passent entre les mailles du filet (cf. le cas du « masqué concombre », pour les vétéran·te·s de la liste).
Récemment, en raison des mobilisations en cours notamment, et pour permettre à des collectifs mobilisés d’avoir accès à la liste, nous avons fait le choix d’amender cette politique et d’autoriser des collectifs anonymes sous certaines conditions, de façon à pouvoir justement aller plus loin dans la libération de la parole sur notre liste. On le fait sous certaines conditions, lesquelles ont toujours été respectées jusque là : on sait qui il y a derrière et quel contenu pourrait grosso modo être diffusé.
Dans le cas du collectif Sociologise-moi, nous avons suivi cette procédure, qui n’est pas encore tout à fait formalisée, simplement parce qu’on est en train de voir si elle marche. Lors de leur demande d’adhésion, nous leur avons demandé leur but et ce que le collectif comptait publier. Quelques jours plus tard, Sociologise-moi envoie un mail directement sur notre liste, annonçant des témoignages et un propos différent, à notre sens, de ce qu’il nous avait préalablement annoncé. On s’est donc creusé les méninges pour savoir quoi faire. D’un côté, dénoncer le harcèlement sexuel, les agressions et les viols dans notre milieu, c’est très important et ça n’a que trop tardé. De l’autre, assumer la responsabilité juridique du fait de l’anonymat du collectif de propos sur lesquels on n’a aucune prise, on peut l’envisager, mais on a aussi besoin d’y réfléchir en amont.
On s’est alors renseigné rapidement sur le cadrage juridique des responsabilités des gestionnaires des listes de diffusion. C’est défini par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 (voilà sa page Wikipédia), et la question principale est de savoir si une liste mail comme la nôtre a un directeur de la publication. Ce numéro de LegiCom, et notamment cet article, discutent de cette loi de 2004. Malheureusement, on ne trouve pas grand chose sur la spécificité des listes de diffusion. Comme beaucoup de choses sont à l’appréciation des tribunaux, on a commencé à regarder un peu de jurisprudence.
Nous avons alors envoyé au collectif Sociologise-moi un mail vendredi 22 mars en fin d’après-midi, en demandant un exemple du contenu qui serait diffusé, le nom d’une ou plusieurs personnes qui pourraient endosser la responsabilité juridique et que l’on garderait à notre discrétion, juste pour ne pas nous retrouver seul·e·s en cas de pépin, et si le collectif avait un site web, ce qui aurait facilité la diffusion. Voici in extenso ce message que nous avons envoyé en privé :
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Bonjour,
Nous vous écrivons suite à votre message de mardi 19 mars sur notre liste de diffusion. Vous y annoncez la publication de contenus qui, en fonction de leur écriture, pourraient faire l’objet de recours juridiques pour diffamation. Nous soutenons la lutte contre le harcèlement sexuel dans l’ESR et la libération de la parole à ce sujet. Toutefois, en tant que gestionnaires de la liste, il nous incombe des responsabilités légales. Nous vous écrivons dans le but que vos travaux puissent être publiés largement, mais aussi de nous assurer que vous en assumez pleinement la responsabilité.
Si traditionnellement nous n’acceptons pas d’inscription de collectifs anonymes, nous avons fait quelques exceptions récemment pour la diffusion d’informations sur l’actualité scientifique et militante, mais sous conditions. Nous vous avons demandé l’objet de votre inscription, et vous nous avez répondu le 13 mars, soit il y a une semaine, que « Beaucoup de choses existent sur le genre mais leur visibilité est trop faible. Nous souhaitons ainsi avoir accès à la liste pour faire circuler des infos sur ce qui est fait, et monter de nouveaux projets. » Cette description nous semble assez éloignée de ce que vous proposez de publier dans votre mail du 19 mars, en tout cas c’est l’interprétation que nous en avons fait.
Étant donné qu’à notre connaissance vous êtes un collectif mais pas une personne morale, nous vous serions reconnaissant·e·s de nous communiquer un ou plusieurs noms de personnes qui assumeront la responsabilité juridique de vos publications, et vers qui nous pourrons renvoyer en cas de recours. Si vous pouviez également nous transmettre des exemples de textes que vous comptez publier, cela pourrait nous être utile. Enfin, comptez-vous publier vos textes sur un site web ? Cela faciliterait sans doute les choses.
Bien à vous,
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Lundi 25 en fin de matinée, nous leur avons renvoyé un courriel en réitérant notre demande, et en leur disant qu’on les désabonnait en attendant que le collectif nous réponde, mais qu’on était ouvert·e·s à les réabonner :
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Bonjour,
Vous vous êtes abonné·e·s à la liste de l’ANCMSP comme collectif. Pour des raisons juridiques, nous demandons aux collectifs d’identifier une personne (morale ou physique) responsable. Son identité n’est pas communiquée, et nous avons besoin de cette information pour la gestion de la liste.
En attendant que vous nous envoyiez le nom d’un·e responsable, nous vous avons donc désabonné·e·s. N’hésitez pas à nous recontacter si vous souhaitez être réabonné·e·s.
A bientôt,
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Le collectif nous a répondu une heure plus tard qu’il ne souhaitait pas nous communiquer de nom, que la question de la responsabilité légale du contenu diffusé avait « évidemment fait l’objet de réflexions approfondies », sans plus de précisions, et qu’aucun nom de personnes ne serait cité dans leurs publications. Après réception on a discuté entre nous, peut-être a-t-on pris trop de temps, et aujourd’hui mardi 26 mars des membres du collectif sous pseudo ont diffusé trois de ses textes sur notre liste.
En voyant ça, on s’est dit « bon, bah, effectivement pas de problème, apparemment pas de risque de diffamation, qu’ils et elles publient sous pseudo, et tant pis pour la pique balancée au bureau, on a tenté de faire au mieux, le contenu prime. »
Néanmoins très vite, on a vu passer sur les réseaux sociaux des messages de personnes extérieures au milieu, qui ne connaissent pas notre travail, nous reprochant plus ou moins clairement d’être des censeur·e·s, d’avoir un problème avec la libération de la parole sur les questions de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viol, et ça nous oblige à répondre.
D’une part, se faire traiter de censeur·e·s pour du contenu diffusé sur notre liste, c’est un peu dur à digérer. Au début de Balance Ton Porc et à d’autres occasions, nous avons choisi de laisser chacun·e dire ce qu’elle et il avait envie de dire. C’est d’autant plus dur à digérer que c’est justement parce qu’on a décidé d’ouvrir la parole anonyme que tout cela est arrivé, et que lorsque les précaires ne se sentaient pas de poster des choses en leur nom propre, on l’a fait pour elles et eux, en endossant le contenu, à plusieurs occasions encore récemment. Le collectif Sociologise-moi nous a d’ailleurs fait part de sa volonté de publier sur notre liste « justement en raison de l’engagement politique dont le bureau fait preuve » (message reçu lundi 25 mars après-midi). Enfin, et peut-être surtout, cette mise en cause de l’association invisibilise le contenu en lui même et les témoignages relayés, ce que l’on trouve dommage pour la cause de la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes dans l’ESR.
Nous sommes bien sûr preneur·se·s de toute proposition pour permettre à la fois la libération de la parole sur la liste, mais aussi pour que l’ANCMSP ne voie pas sa responsabilité juridique engagée sur des contenus alors que l’on n’a pas la main dessus. Soyez assuré·e·s que l’on fait du mieux que l’on peut avec les moyens du bord, et qu’après cet épisode nous allons nous pencher plus longuement sur cette question, et préciser la charte d’utilisation de la liste.
Enfin, nous rappelons que nous sommes une association de non-titulaires qui essayons de mettre toute notre énergie dans la défense des intérêts des précaires, et que nous sommes engagé·e·s sur les questions d’égalité femmes-hommes et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes depuis de nombreuses années.
Amitiés,
Le bureau de l’ANCMSP