SAUVONS LA RECHERCHE !
Lettre ouverte au gouvernement.
Le mercredi 7 janvier 2004.
http://recherche-en-danger.apinc.org/
A signer par tous les personnels de la recherche, y compris les personnels hors-statut, quel que soit l’organisme de rattachement de leur laboratoire. Tous les signataires approuvent l’analyse ci-dessous et souhaitent alerter le gouvernement sur l’extrême gravité de la situation. Faute d’une réponse rapide et satisfaisante du gouvernement, les signataires ayant des responsabilités administratives s’engagent à démissionner de ces responsabilités (voir fin du texte).
A l’aube du XXI siècle, la France a besoin d’une recherche vigoureuse. Cette activité est indispensable aux innovations de demain, au développement économique de notre pays, ainsi qu’à son rayonnement culturel. Dans la conjoncture actuelle, les pays qui ne maintiendront pas un outil de recherche d’excellence seront incapables de suivre l’accélération de l’évolution économique associée à la production des connaissances. Plus grave encore, ils deviendront rapidement incapables de former les jeunes générations de manière compétitive. Ils entreront donc dans une dépendance économique difficilement réversible.
Croire que l’on peut limiter la recherche à quelques axes prioritaires pour la société, c’est entrer dans une logique de sous-développement. Les retombées utiles et rentables viennent et viendront de la recherche appliquée. Mais celle-ci ne peut exister qu’en utilisant les nouveaux outils et les concepts inventés par la recherche fondamentale. Comme l’objectif de cette dernière est le développement des connaissances, indépendamment de toute rentabilité escomptée, elle ne peut être soutenue, pour l’essentiel, que par des financements publics. Cette responsabilité centrale de l’Etat ne peut être transférée aux organismes caritatifs, privés, ou aux structures internationales même si les chercheurs savent trouver auprès de ces bailleurs d’importants compléments de financement.
En France, nous assistons à un abandon de la recherche fondamentale par l’Etat. Cette politique entraînera irrémédiablement à sa suite un effondrement de toute recherche appliquée. Nous en avons déjà des exemples avec la fermeture de centres de recherche privée (Aventis, Pfizer), qui préfèrent exercer cette activité là où le lien entre recherche fondamentale et appliquée est soutenu : aux USA. Car il faut le redire : l’industrie privée américaine est massivement dépendante du secteur public. En gros, dans le domaine de la santé, les grandes compagnies pharmaceutiques se transforment en sociétés financières, spécialisées dans le rachat des start ups issues du monde académique, quand elles réussissent. Mais il n’y a plus réellement de recherche pharmaceutique privée, et c’est tout aussi vrai en Europe. Si les parlementaires américains, quelle que soit leur appartenance politique, ont voté les augmentations considérables et récurrentes proposées par l’administration Clinton pour le budget du NIH, c’est parce que les biologistes ont su rallier l’industrie pharmaceutique à cette cause et ont convaincu le gouvernement d’injecter de l’argent fédéral dans la recherche académique, afin de disposer de la recherche la plus innovante possible.
En dépit du discours officiel affirmant que la recherche est une priorité nationale, le gouvernement français est bel et bien en train de fermer le secteur de la recherche publique, sans même se rendre compte qu’il n’y a rien pour la remplacer. Il asphyxie financièrement les organismes de recherche publique. Les baisses de crédits ajoutées aux annulations de crédits et au non paiement des crédits votés par le Parlement (début décembre 2003, 50% des crédits de fonctionnements 2002 du CNRS ne lui avaient toujours pas été versés !) mettent plusieurs EPST (Etablissements Publics à caractère Scientifique et Technique, comme le CNRS, l’INSERM ou l’INRA) et les EPIC (Etablissement Public Industriel et Commercial, dont le CEA) au bord de la faillite. Alors que la recherche, qui est une activité sur le long terme, a besoin de perspectives claires, le gouvernement décide une réduction brutale du nombre de recrutements de jeunes chercheurs (un exemple, pour les recrutements de chargés de recherche à l’INSERM : 95 recrutements en 2002, 30 prévus en 2004). Coïncidant avec un départ massif des cadres de la recherche française à la retraite, cet abandon fera que l’écart avec les autres pays équivalents atteindra rapidement un point de non retour, d’autant plus rapidement que les jeunes scientifiques s’expatrieront, un mouvement déjà largement amorcé.
Les grandes orientations de la politique scientifique doivent être contrôlées par la représentation nationale. Mais le gouvernement ne peut à la fois désengager l’Etat et piloter la recherche avec des méthodes qui risquent de la paralyser. Ainsi, les moyens d’intervention sont de plus en plus concentrés au niveau du ministère. La distribution des fonds publics de la recherche utilise désormais des circuits improvisés et sans continuité, dont la logique la plus claire est de priver les EPST (dont les universités) et les EPIC, de leur capacité d’intervention. Des comités ad hoc sont créés dans l’urgence pour décider de l’attribution de sommes importantes à des programmes exceptionnels, des experts sont désignés hâtivement pour choisir les jeunes chercheurs à soutenir. Instaurées au nom d’une meilleure efficacité dans le pilotage de la recherche, ces pratiques ont pour effet de multiplier des comités à durée de vie limitée, aux critères d’évaluation souvent opaques, et de mobiliser beaucoup d’énergie prise sur l’encadrement des laboratoires des EPST et des EPIC. L’ironie est en effet que les experts scientifiques ne peuvent venir que des laboratoires où se trouve la compétence, c’est-à-dire des EPST et des EPIC. Certes, le pilotage par le gouvernement est nécessaire pour la mise en place de très grands équipements, ou de structures spécifiques comme les Maisons de l’homme en sciences sociales, ou enfin pour le développement d’applications de la recherche, mais à condition que ce pilotage soit mis en place de manière transparente et en concertation avec les organismes de recherche, en évitant les improvisations et changements péremptoires d’orientations, et qu’il s’accompagne d’un soutien sans faille à la recherche fondamentale, dans toute sa diversité, avec comme seul critère de jugement celui de l’excellence scientifique.
Il n’existe pas d’exemple de recherche scientifique exclusivement animée et pilotée par un Ministère. C’est une confusion des genres et une illusion scientifico-bureaucratique que de croire à un tel schéma, comme semblent le faire beaucoup d’hommes politiques de tous bords. Il n’y a pas de recherche digne de ce nom sans des organismes de recherche et des universités puissantes, capables de réagir à la conjoncture scientifique internationale. Même s’il faut en analyser les structures et les pratiques avec lucidité, même si des évolutions sont nécessaires, comme le pensent depuis longtemps beaucoup de signataires, il faut rappeler avec la plus grande fermeté que c’est dans ces organismes de recherche que se trouvent la pratique scientifique et une compétence irremplaçables pour la formation des jeunes, la réponse aux évolutions rapides des savoirs et l’évaluation des résultats.
Les scientifiques signataires considèrent de leur responsabilité d’agir collectivement contre une destruction programmée de l’appareil de recherche français. En conséquence :
1) Nous demandons que les sommes dues aux organismes (dotations 2002 toujours non versées) leur soient immédiatement versées.
2) Nous demandons que le nombre de possibilités d’embauche proposées aux jeunes chercheurs pour les concours 2004 soit significativement augmenté.
3) Nous souhaitons qu’une mobilisation profonde du monde de la recherche prenne corps pour que la situation puisse être comprise du monde politique et économique, et de l’opinion. Nous demandons au Ministère de la Recherche que soit mise en chantier dans les plus brefs délais la préparation d’ASSISES NATIONALES DE LA RECHERCHE, dont l’exemple pourrait être le colloque de Caen qui fut à l’origine du renouveau spectaculaire de la recherche française dans les années 60. Un tel colloque, en réunissant les acteurs économiques et politiques concernés, en n’éludant aucune des questions qui conditionnent la dynamique et la réactivité de notre système de recherche, visera à une refondation d’un secteur d’activité vital pour l’avenir des citoyens de ce pays, secteur dont tant de jeunes aujourd’hui se détournent. Il devra déboucher sur la mise en place d’une politique pluri-annuelle offrant des perspectives d’embauche et de carrière attractives pour les jeunes chercheurs.
Si les pouvoirs publics ne mesurent pas la gravité de la situation, et en particulier la désespérance des plus jeunes qui devient le problème central de nos laboratoires, SI DONC CES DEMANDES NE SONT PAS SATISFAITES DANS LE DELAI D’URGENCE QU’EXIGE LE TRAITEMENT DE LA CRISE QUE NOUS SUBISSONS, LES DIRECTEURS D’UNITES ET D’EQUIPES SIGNATAIRES PRESENTERONT LA DEMISSION COLLECTIVE DE LEURS FONCTIONS DE DIRECTION.
Ils sont conscients de la gravité qu’aurait une telle décision. Mais soucieux de préserver les plus jeunes, ils n’auraient que ce moyen pour être entendus des pouvoirs publics, des responsables économiques et de l’opinion.
Les soussignés appellent à se joindre à ce mouvement de révolte contre le démantèlement de l’appareil de recherche en France, les membres des commissions CNRS et INSERM et leurs présidents, les personnels des autres EPST et EPIC, les collectifs de jeunes chercheurs, les présidents de sociétés savantes, selon des formes que chaque catégorie déterminera à son niveau de responsabilité. Ils appellent également à se joindre à eux les enseignants-chercheurs, qui sont aussi touchés par ces mesures, et susceptibles d’en expliquer la gravité aux étudiants qui se détermineront pour savoir s’ils souhaitent amplifier ce mouvement.