Quels contours peut-on imaginer pour les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs, dans l’hypothèse où des modifications des textes pourraient intervenir ? Nous sommes peut-être à la veille d’une conjoncture de « fluidité institutionnelle », qui pourrait marquer une étape importante dans l’histoire de la science politique. Il convient à cet égard de rappeler une étape précédente majeure : la création de l’agrégation de science politique en 1971 – étape importante mais paradoxale, dans la mesure où la création d’une agrégation spécifique, calquée sur le modèle du droit, ne répond que très imparfaitement aux attentes des politistes d’alors, dont beaucoup militent pour la suppression pure et simple de l’agrégation, ou pour un concours spécifique, refusant le « conservatisme » de l’agrégation, ouvert (y compris aux non docteurs…) et multidisciplinaire (projet Goguel pour l’AFSP), mêlant les modalités de l’épreuve traditionnelle (classement national) à celles du recrutement alors en vigueur dans les facultés de lettres (inscription sur une liste d’aptitude)[[Cf. sur ce point M. Milet, « L’autonomisation d’une discipline. La création de l’agrégation de science politique en 1971 », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 4, 2001, pp. 95-116.]]. Cette anamnèse a pour objectif, non pas de rouvrir ce débat qui a connu récemment les rebondissements que l’on sait, mais d’ouvrir les perspectives : après tout, l’agrégation n’existe que dans six sections CNU (celles-là mêmes dont la science politique voudrait s’émanciper…) et un seul pays, le nôtre…
D’abord la première question à se poser est de savoir si le statut des EC va demeurer ce qu’il est. Une réforme conséquente des Universités dans le sens de l’autonomie, à la Sarkozy par exemple, pourrait induire une remise en cause du statut actuel des EC, par exemple vers une plus grande modularité des différentes tâches, voire vers un rapprochement entre statut des chercheurs (CNRS etc.) et statut des EC. L’ANCMSP n’a naturellement pas vocation à trancher ce type de débat, mais c’est un élément de réflexion que la discipline doit garder présent à l’esprit dans sa réflexion.
Un autre débat concerne le caractère principalement national ou local du recrutement. Le système actuel du recrutement des MCf laisse à chaque section du CNU le choix d’arbitrer (en science politique, l’essentiel du recrutement se fait à l’échelon local) ; l’agrégation est à composante principalement national, tandis que le recrutement au CNRS est quasi entièrement national. On peut imaginer que le recrutement des MCf soit nationalisé, ou bien qu’il soit entièrement local – sur le mode américain, ce qui serait congruent avec l’idée d’autonomie des universités.
En tout état de cause, l’ANCMSP estime qu’il doit demeurer dans le processus de recrutement une phase – ex ante ou ex post – de validation nationale des recrutements.
Le rapport Truchet, sur la réforme des études juridiques, fait un certain nombre de propositions sur le recrutement des EC. Il écrit une phrase que pourrait avoir rédigé l’ANCSMP : « la phase locale de la procédure devant les commissions de spécialistes impose aux candidats un « parcours du combattant » épuisant, coûteux, et surtout indigne du respect qu’on leur doit ». En réponse, le rapport propose un recrutement effectué par un jury régional, composé de PR et MCf issus de chaque CS de la région concernée, avec des membres extérieurs. Après audition (qui pourrait être allongée, car le jury pourrait siéger pendant plus longtemps, et les contraintes de calendrier seraient nettement desserrées), les candidats sont affectés aux postes à pourvoir par ordre de classement – ce qui au passage suppose de ne plus flécher les postes. Sur ce dernier point, d’une part on peut penser que c’est normal, concernant le recrutement d’un EC pour 30 ans dans la fonction publique (et pas nécessairement dans un seul labo) ; d’autre part, cela pose problème quant aux laboratoires et à l’adéquation avec leurs axes de recherche.
Dans le cas de la science politique, qui est une petite discipline (une vingtaine de postes de MCf les bonnes années), ce recrutement pourrait être nationalisé, ce qui permettrait une réelle rationalisation du recrutement, tant sur le plan des critères de recrutement que sur celui du confort offert aux candidats (durée de l’audition, coûts divers générés par les campagnes de recrutement pour un résultat incertain…) qu’aux membres du jury d’ailleurs.
En ce qui concerne les critères pris en compte dans le recrutement des EC (MCf et PR), l’ANCMSP souhaite que les qualités de chercheur et d’enseignants soient prises en compte à parts égales (la tendance actuelle étant à favoriser la recherche pour les MCf, et l’enseignement – au moins en théorie – pour les PR). Les qualités d’enseignants pourraient s’apprécier par exemple en faisant effectuer une « vraie » leçon (pas une leçon d’agreg…), dont le sujet serait donné à l’avance, devant de « vrais » étudiants – comme cela se pratique dans certains pays.
Chacun le sait, l’ANCMSP a toujours été extrêmement attachée à la transparence des recrutements – c’est même sa raison d’être première. Dans ce cadre, nous suggérons, afin de provoquer la réflexion, que le recrutement se fasse en présence d’un « observateur », jeune chercheur (ou titulaire ?) issu d’une autre discipline et d’une autre université (en cas de phase locale de recrutement), en charge de superviser non pas la qualité intrinsèque du recrutement mais sa régularité formelle et sa sincérité. Cela pourrait également être un fonctionnaire du ministère. Bien évidemment, cette personne n’interviendrait pas dans le choix des candidats recrutés. Mais il serait chargé de faire un rapport public sur le déroulement des épreuves.
Un dernier point sur lequel nous voudrions insister est une réaction à une proposition effectuée par la CPU récemment. Celle-ci, dans le cadre de son militantisme en faveur de l’autonomie des universités, réclame un « droit de veto systématique sur le recrutement de l’ensemble des enseignants-chercheurs » pour un CA resserré. Il s’agit là de faire prévaloir des considérations gestionnaires sur des considérations disciplinaires. Pour venir d’un établissement où ce type de considérations a largement prévalu lors de recrutements récents, je peux affirmer, avec l’ANCMSP, que les préoccupations scientifiques, telles qu’exprimées par les pairs, nous semblent devoir prévaloir sur les préoccupations supposées gestionnaires (qui ressortent en réalité souvent de conflits internes à l’établissement, par exemple entre plusieurs disciplines), dont il n’y a aucune raison pour qu’elles rejaillissent sur les candidats.
Certaines des pistes que nous avons évoquées – et qui ne sont que des pistes destinées à susciter la réflexion, non des positions fermes de l’ANCMSP – peuvent paraître un peu utopistes. Pourtant, un exemple de modalités de recrutement proches de ce modèle existe et fonctionne – celles relatives au recrutement des chercheurs du CNRS, sur lesquelles Fabien Jobard, secrétaire scientifique de la section 40 du Comité national du CNRS.