Message des présidents des Conseils Scientifiques des Départements du CNRS aux membres du
Conseil Scientifique et du Conseil d’Administration du CNRS
Chers collègues,
Si nous nous adressons à vous aujourd’hui, c’est parce que nous considérons la situation du CNRS comme extrêmement préoccupante, et que vous serez consultés dans les prochaines semaines
sur des questions particulièrement importantes, comme la structuration en instituts ou bien le Contrat d’Objectifs et de Moyens. Une rencontre que nous avons eue à notre demande ce lundi 13 octobre avec
la direction du CNRS n’ayant pas dissipé nos motifs d’inquiétude, nous croyons nécessaire de vous en faire part directement.
1) Concernant la structuration en instituts, il nous semble que le gouvernement revienne sur les engagements pris par la Ministre dans sa lettre du 27 juin dernier au président du CS du CNRS,
« toutes les disciplines doivent être traitées avec une égale dignité et organisées de manière homogène
en instituts. Tous ces instituts ont par ailleurs vocations à assurer des missions nationales … », engagement assorti de celui d’un large débat dans la communauté scientifique. Au lieu de cela, outre
les mesures particulières et précipitées dont les sciences humaines et sociales ont fait l’objet sans justification convaincante, nous assistons à la mise en place de commissions, entièrement nommées
par le Ministère, où figurent principalement des personnalités ayant pris des positions publiques antagoniques non seulement avec les recommandations émises par les instances du CNRS, mais aussi
avec les orientations actées dans le Plan stratégique adopté par le CA du 1er juillet dernier.
En parallèle, la direction du CNRS a laissé s’installer une confusion au sujet du caractère « national » des instituts, alors même que les péripéties qui ont retardé l’adoption du Plan stratégique
avaient manifesté de très fortes oppositions à certaines des implications susceptibles d’en être
déduites. À ce jour, la direction insiste sur le fait que tous les instituts du CNRS doivent définir leur mission nationale dans le cadre de la réflexion engagée sur la transformation des « départements » en « instituts ». Pour notre part, nous réaffirmons que l’avenir du CNRS comme organisme pluridisciplinaire est incompatible avec la sortie de l’organisme de disciplines telles que la biologie ou l’informatique. Si l’évolution de la situation depuis juin dernier devait conduire à accélérer la mise en place d’instituts « nationaux » autres que les deux déjà existants (INSU et IN2P3), il est essentiel que la « concertation » ne soit pas téléguidée et que des solutions appropriées pour les secteurs précités, et qui respectent les engagements rappelés plus haut, soient apportées préalablement à l’instauration de l’ensemble.
Enfin, en application de la disjonction des fonctions d’opérateur de recherche et d’agence de moyens, la direction nous avait présenté en juin dernier une hypothèse de l’ordre de 20% du budget
impartie à la fonction agence de moyens, étant entendu que cette part serait essentiellement consacrée à renforcer les actions interdisciplinaires entre instituts. Or les informations qui nous parviennent aujourd’hui situent plutôt cette part à hauteur de 50%, et ce dans un avenir proche, avec pour but essentiel de favoriser un désengagement important du CNRS en tant qu’opérateur par rapport à de nombreuses unités possédant actuellement un statut d’UMR. Une telle évolution de la « doctrine » du CNRS concernant les instituts nous semble dangereuse pour l’avenir même de l’organisme qui tendrait
à se réduire comme une peau de chagrin, pour la stabilité des laboratoires qui se verraient privés de leur identité CNRS et pour la notion même de laboratoire qui, perdant sa mixité effective, serait
appauvrie d’un côté ou de l’autre.
2) Concernant les laboratoires, nous rappelons que la commission d’Aubert recommandait expressément le maintien de la double tutelle (nationale et locale), au minimum, se faisant ainsi l’écho
d’un avis très largement partagé dans la communauté scientifique. Nous réaffirmons ici notre confiance dans le format UMR, et rappelons que ce dispositif d’association a joué un rôle déterminant pour structurer des communautés scientifiques et pour rapprocher le CNRS et les universités. Plutôt que de continuer la fuite en avant en matière de typologie des unités (en l’espace de deux ans, sont apparus les LRC et les ERL, puis les unités stratégiques et leurs contraires, qui, on se demande pourquoi, n’ont pas encore de nom), comme si l’affichage « politique » comptait plus que l’efficacité scientifique, la direction du CNRS se montrerait mieux avisée de renforcer, d’améliorer et de stabiliser ce qui, de l’avis général, fonctionne bien, à savoir les UMR. En tout état de cause, la tournure que semble prendre en interne la procédure d’examen – pour ne pas dire d’évaluation – des UMR par l’organisme (voir point 3) accroît grandement notre inquiétude quant à l’avenir de ces unités, de très loin les plus nombreuses, comme nul ne l’ignore, à l’heure actuelle.
3) Nous avons rédigé il y a peu un communiqué, reporté ci-dessous, où nous rappelions qu’il appartient aux départements scientifiques, et à eux seuls, instruits par le travail du Comité national,
d’informer la Direction des partenariats sur la qualité scientifique des unités, et non pas l’inverse. Ce rappel au mode de fonctionnement rationnel qui est prévu par les textes se fondait sur le fait constaté
que la Dpa, qui n’en a ni la légitimité, ni la mission, ni la compétence, a réalisé des évaluations de la qualité scientifique des personnels en se basant sur les informations de nature très critiquable demandées par la fiche UR3 CNRS. Nous avons réclamé de façon solennelle la suspension de cette fiche, et l’ouverture de discussions entre la Dpa et le Comité national sur les informations qu’il serait pertinent de solliciter par de telles fiches ainsi que sur la manière dont il conviendrait d’exploiter ces
informations. Vous devez savoir que nous assistons aujourd’hui à une situation de désordre, de nombreux laboratoires ayant à bon droit et clairement signifié leur refus de remplir et de transmettre ce
document tel qu’il est conçu. Nous espérions que notre entretien de ce lundi 13 octobre donnerait à la direction l’occasion de proposer une solution, mais nous n’avons pas entendu de réponse satisfaisante.
Nous apprenons aujourd’hui que le C3N est convoqué dans l’urgence lundi 20 octobre au matin pour des échanges avec la DPa, « afin de faire le point sur la démarche de caractérisation », dans une
réunion ouverte et clôturée par le Directeur Général. Dans l’hypothèse d’une poursuite de l’utilisation de la fiche actuelle, nous envisageons de la déclarer purement et simplement nulle et non avenue, et
d’appeler en conséquence les personnels à la boycotter.
4) Dans ce message déjà bien long, nous n’aborderons pas dans le détail les craintes que nous inspirent les informations relatives au budget et aux postes pour 2009. Il paraît pourtant évident qu’une nouvelle baisse du soutien de base des laboratoires (on parle à nouveau de – 15%) et la faiblesse annoncée des
recrutements de chercheurs et d’ITA, sont orthogonales aux ambitions affichées de constituer la recherche comme l’une des priorités nationales.
Nous voudrions indiquer ici pour finir en quoi le nouveau dispositif annoncé de « chaires CNRS » ne nous paraît pas répondre aux urgences de la situation. Ces dernières années, les universités ont déployé des efforts particuliers pour recruter de jeunes MdC talentueux, et l’on s’accorde, dans les UMR, à regretter de voir ces nouveaux personnels dans l’incapacité pratique de s’impliquer dans la recherche autant que ce serait souhaitable. Or, encouragé en cela par la tutelle politique et par ses partenaires universitaires, le CNRS a développé depuis plusieurs années un système dit « de délégation », dont l’effet positif sur l’activité des bénéficiaires n’est plus à démontrer. Nous sommes
tentés de considérer comme une nouvelle manifestation d’un « mal français » l’aveuglement consistant à ne pas voir qu’il convenait de s’appuyer sur ce dispositif existant, en l’amplifiant et en l’améliorant, pour accompagner les universités dans leur effort de recherche. Il faut n’avoir jamais travaillé dans une UMR pour ne pas prévoir les tensions que vont engendrer ces « super MdC », côtoyant des MdC
« ordinaires », les premiers enseignant trois fois moins que les seconds, mais gagnant 33% de plus. À quoi s’ajoutent une forme de supercherie budgétaire (deux postes sur le papier supportant en fait une
seule et même personne), une diminution parallèle du nombre des délégations « ordinaires », et un mode de recrutement en forme d’« usine à gaz » qui va contraindre le CNRS à renoncer à l’une des
clés bien connues de l’excellence de ses chercheurs, le principe du recrutement national. Ce mode de recrutement, s’il devenait prédominant, pourrait rapidement vider l’organisme de sa substance. N’estce pas, pour certains, le but recherché ? Il y a lieu de se le demander.
Nous sommes convaincus que ce qui fait la force du CNRS ce sont ses chercheurs et ses ITA, et si nous ne sommes pas opposés a l’innovation institutionnelle ni à l’évolution des relations entre le
CNRS et l’université, nous pensons que l’échelle choisie pour l’année prochaine (25% des postes) est fixée à un niveau trop élevé. Nous recommandons instamment comme une mesure de prudence de rester dans les limites d’une expérimentation (par exemple à raison d’un poste par commission du CNRS), et de prévoir une évaluation du dispositif après deux ans de fonctionnement, avant son éventuelle extension.
Nous espérons que ces réflexions nourriront utilement les futurs débats du CS et du CA du CNRS. Pour notre part, nous serons très attentifs aux décisions qui seront prises dans les prochaines semaines, et nous nous réservons, le cas échéant, d’appeler les personnels à prendre les mesures appropriées pour mettre en échec des dispositions contraires à l’intérêt, et du CNRS, et de la recherche universitaire. Nous avons d’ores et déjà prévu une réunion commune, mi-novembre, de nos différents
conseils scientifiques de départements, à laquelle vous serez conviés, ainsi que la CPCN.
Signataires, les présidents des Conseils Scientifiques des Départements du CNRS :
J-C Auffray (EDD), G. Baldacci (SDV), J-C Beloeil (Chimie), J. Dumarchez (PNPP), C. Jeandel (PU),
R. Mosseri (MPPU), P. Régnier (SHS), Y. Segui (ST2I)
Le 15 octobre 2008
Annexe : rappel d’un communiqué précédent
Les présidents de Conseils Scientifiques de Département du CNRS ont rédigé le communiqué suivant,
concernant les dérives bibliométriques :
Les présidents, soussignés, des Conseils Scientifiques de Département du CNRS souhaitent faire part
de leur extrême préoccupation quant aux dérives constatées dans le traitement de données
bibliométriques, en particulier par la Direction des Partenariats du CNRS (DPa) consécutivement au
contenu et au traitement de la fiche dite « UR 3 CNRS ».
Ils constatent en particulier qu’une évaluation des chercheurs et enseignants-chercheurs (classement
A,B,C) se met en place, fondée sur un traitement des données bibliométriques. Ceci est en
contradiction avec le fonctionnement de l’évaluation des chercheurs au CNRS, réinscrit dans le Plan
Stratégique de l’organisme, qui assigne au comité national cette tâche.
Ils souhaitent vivement que s’instaure enfin un fonctionnement interne de l’organisme où ce sont les
directions scientifiques, instruites par le travail du comité national, qui informent la DPa de la qualité
scientifiques des unités, et pas l’inverse, afin que cette dernière instruise au mieux les relations entre le
CNRS et ses partenaires
Ils demandent solennellement que soit suspendue la diffusion et le traitement de la fiche « UR 3
CNRS », qu’un audit des activités de la DPa en matière d’évaluation soit mené, et qu’à l’avenir les
documents traitant de l’évaluation scientifique à partir de données bibliométriques soient soumis pour
avis au comité national, par exemple au C3N qui regroupe le bureau du CS, de la CPCN et les
présidents des CSD.
Signataires :
J-C Auffray (EDD), G. Baldacci (SDV), J-C Beloeil (Chimie), J. Dumarchez (PNPP), C. Jeandel (PU),
R. Mosseri (MPPU), P. Régnier (SHS), Y. Segui (ST2I)
Le 29 septembre 2008
Communiqué des syndicats et associations du CNRS
*
SNTRS-CGT, SNCS-FSU, SGEN CFDT RECHERCHE EPST, SNPTES-UNSA, SNPREES-FO, SLR
La direction du CNRS amorce une politique de désassociation massive des UMR. En effet, elle annonce un objectif de délabellisation de plus de
50% des UMR d’ici 2013 ! Elle commence dès cette année avec quelques UMR de la vague C (Est de la France et une partie de la région parisienne).
Elle va, de fait, demander au Conseil Scientifique du CNRS les 20 et 21
octobre d’entériner ces premières désassociations pour des raisons
stratégiques plutôt que scientifiques.
En même temps, la direction du CNRS annonce la création de chaires
juniors pour des maîtres de Conférences des Universités qui seront
déchargés de 2/3 de leurs services d’enseignement. En fait, les 130
postes prévus à cet effet pour les EPST (chiffre annoncé par la ministre
V Pécresse) vont réduire le recrutement des Chargés de Recherche. C’est
aussi la mise en place d’un système à double vitesse pour les Maîtres de
Conférences puisqu’il bénéficiera seulement à quelques-uns. Pour initier
ce processus, la direction annoncera le 20 octobre au Conseil
Scientifique la diminution du nombre de postes mis au concours 2009.
Les organisations syndicales du CNRS refusent le désengagement de la
tutelle scientifique du CNRS sur les UMR et la réduction des
recrutements de Chargés de recherche.
C’est la mise en oeuvre par la direction du CNRS du démantèlement
souhaité par le gouvernement. Les organisations syndicales appellent les
personnels à se mobiliser pour soutenir leurs élus au Conseil
Scientifique dans leur action contre la mise en œuvre de la politique
gouvernementale.
*A Paris, les organisations syndicales appellent les personnels à se
rassembler au siège du CNRS le 20 octobre à 13h00.
En province, les organisations syndicales appellent les personnels à
bloquer les délégations du CNRS.
*Villejuif, le 14 octobre 2008