Le débat suscité par le recrutement du fils de l’ex-président à l’Université de Créteil ne doit pas faire oublier la précarité du statut de vacataire dans l’enseignement supérieur.
Les gazettes bruissent depuis peu d’une nouvelle croustillante : Jean Sarkozy, fils cadet de l’ex-président de la République, enseignera prochainement au département de droit de l’Université Paris Est Creteil. Les uns crient au favoritisme, les autres brandissent un diplôme. Et si statut d’enseignant vacataire était tout sauf un privilège ?
Une précision : le statut sous lequel est supposé enseigner Jean Sarkozy n’a rien à voir avec celui d’un professeur d’université ou celui d’un maître de conférences, les deux principaux grades d’enseignants chercheurs titulaires à l’université. D’abord, parce que les vacataires sont dix fois plus nombreux. Chaque année, l’Université de Créteil qui se prépare à accueillir Jean Sarkozy recrute selon l’AFP plus de 3.000 enseignants vacataires pour animer ses travaux dirigés. Ensuite, parce que ce statut compte parmi les plus ingrats de la fonction publique. On trouve des vacataires un peu partout : à l’hôpital, dans les services communaux, dans divers établissements publics et, parmi eux, à l’université. Les vacataires y servent de variable d’ajustement, et exercent leurs différents métiers sous un statut dont la flexibilité ferait saliver les plus libéraux des chefs d’entreprise. Comment fait-on pour partager, avec Jean Sarkozy et tant d’autres, la condition peu envieuse de vacataire ?
Il faut d’abord constituer un dossier administratif, qui a pour but de prouver que l’on dispose d’une protection sociale. Jean Sarkozy, en sa qualité d’étudiant, répond à cette condition… à l’instar des milliers d’étudiants vacataires qui assurent en France les TD de facs, les gardes aux urgences ou les cours de musique des écoles primaires. Vous n’êtes pas étudiant ? Alors vous devrez prouver que vous exercez une activité principale : salarié du public ou du privé, profession libérale, travailleur indépendant, chef d’entreprise. L’État s’assure ainsi qu’il n’aura pas à payer certaines cotisations sociales afférentes à votre activité ! Une aubaine pour l’employeur, un drame pour certains : notre association est régulièrement interpellée par des enseignants vacataires qui s’aperçoivent, après coup, que leurs centaines d’heures au service de l’État ne leur a ouvert aucun droit au chômage. Enseignant la veille, bénéficiaire du RSA le lendemain…
Comment Jean Sarkozy sera-t-il payé pour ses enseignements ? Pas de contrat, pas de volume horaire garanti : juste un décompte progressif des heures effectuées,, payées en général deux fois par an. A la fin du semestre, le vacataire à l’université reçoit un salaire assorti d’une unique fiche de paie, où apparaissent le nombre d’heures effectué, multiplié par un tarif forfaitaire. Ni congés payés, ni treizième mois, ni participation au transport, ni protection contre les accidents du travail, ni ancienneté, ni congé maladie, ni rien. Le vacataire, qui accomplit le même service que son collègue titulaire, ne bénéficie d’aucune protection sociale, tout en étant moins payé pour la même charge de travail. Ainsi va la fonction publique, au pays de l’égalité…
Et si Jean Sarkozy prenait goût à l’enseignement, et souhaitait se voir reconduit l’an prochain dans sa charge d’enseignement ? Pas de problème ! S’il convient, Jean Sarkozy sera renouvelé dans l’exercice de sa vacation d’enseignement autant de fois qu’il le souhaite. Comme des dizaines de milliers de vacataires de la fonction publique française. Le tout en parfaite contradiction avec la définition du vacataire, lequel est » une personne recrutée pour une tâche précise ne présentant aucun caractère de continuité « . Que voulez vous, la fonction publique dispose d’un statut peu contraignant pour recruter et mettre fin aux missions de ses agents en fonction de ses impératifs, elle fait donc ce que ferait n’importe quel employeur : elle en use et en abuse. Et ce même si les parlementaires ont fait voter la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire, qui visait à stabiliser la situation des agents non titulaires et à éviter la reconduction de la précarité en assouplissant les modalités de recrutement des fonctionnaires. Pour faire appliquer cette loi, les vacataires doivent ester en justice administrative pour voir requalifier leur situation en emplois contractuels.
Sans arrière-pensée politicienne, nous souhaitons donc la bienvenue à Jean Sarkozy dans ses nouvelles fonctions d’enseignant précaire. Nous l’invitons à nous rejoindre dans la lutte contre les usages indignes du statut de vacataire dans la fonction publique, où il sera assuré de mettre à profit ses indiscutables compétences politiques au service d’une juste cause.
Tribune parue dans Libération le 30 janvier 2013, jour de la mobilisation nationale contre la précarité dans l’ESR. Merci aux responsables de la page Rebonds de Libération, aux organisateurs de la manifestation et aux manifestants qui contribuent à rendre visible la précarité dans l’ESR.