Lettre de l’AFSP, de l’AECSP, et de l’ANCMSP : À propos de la recherche et de l’enseignement supérieur

À propos de la recherche et de l’enseignement supérieur

Nos trois associations (AFSP, AECSP et ANCMSP) sont des associations indépendantes qui ont amorcé une réflexion commune à l’ensemble de la science politique française. Elles sont représentatives des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des jeunes chercheurs de la discipline. Elles font ici état de leur position sur les projets actuellement discutés concernant les politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles sont acquises à l’idée d’une réforme. Mais elles s’inquiètent des conditions dans lesquelles celle-ci intervient, sans concertation et sans assurances sur le statut des personnels et des grands organismes (CNU, CNRS) qui structurent le paysage scientifique, sans précisions sur les mesures censées accompagner ces transformations et assurer la transition vers l’autonomie.


L’autonomie des universités

Une des motivations principales de la nouvelle loi sur les universités est de faire émerger des établissements plus visibles à l’échelle mondiale. Cette transformation en profondeur de l’enseignement supérieur français ne sera viable qu’à deux conditions :

– Arriver à favoriser l’émergence d’universités qui auront pleinement l’ambition et les moyens de conduire la politique de leur établissement au meilleur niveau ;

– Garantir un équilibre entre les disciplines, les statuts et les missions de l’université.

Les établissements les plus renommés en termes de recherche devront se donner la mission de se hausser au plus haut niveau international sans abandonner leurs autres missions de service public. Les autres établissements auront dans leur ensemble une fonction tout aussi essentielle en tant qu’universités de proximité pour la formation des étudiants, sans pour autant méconnaître les standards nationaux et internationaux, en matière de financement de la recherche et de qualité des procédures de recrutement notamment.

Nos trois associations redoutent toutefois qu’avec la nouvelle loi un fossé ne se creuse entre les différents types d’établissements, et que la hiérarchie établie entre eux ne se fige sur le long terme. Tout particulièrement dans notre discipline où existent déjà de fortes inégalités entre les sites géographiques dotés d’un Institut d’Etudes Politiques (IEP) et ceux qui sont plus isolés, voire au sein du réseau des IEP.

En plus des inégalités sociales et géographiques qu’elle ne manquerait pas d’accentuer, une telle situation exclurait définitivement certains établissements de la recherche de pointe ce qui nous paraît dommageable. Non seulement la qualification d’une université peut évoluer dans le temps, mais les regroupements du type PRES ou RTRA sont susceptibles de permettre à un nombre croissant d’établissements d’enseignement supérieur d’atteindre une masse critique dans des domaines variés de la recherche en sciences sociales du politique. Ils pourront ainsi offrir des cursus de formation et des laboratoires de recherche capables d’affronter la compétition européenne et mondiale.

Nos associations s’interrogent donc sur les moyens qui seront dégagés pour permettre à la réforme de se mettre en place dans les meilleures conditions, sans oublier les besoins immédiats criants de nombreuses universités, notamment en SHS : la simple mise à niveau des infrastructures en grande partie délabrées requiert des moyens immédiats conséquents.

Les structures de recherche

Nos associations sont alarmées par les menaces récurrentes qui planent sur l’avenir du CNRS et plus généralement des organismes publics de recherche.

La création des U.M.R. associant le CNRS et les établissements d’enseignement supérieur dans le cadre de la contractualisation des universités a réalisé un progrès considérable et a permis de renforcer la recherche dans de nombreux établissements. Nos associations y sont très attachées. Le système s’est développé au cours des années avec des partenariats fondés sur des objectifs partagés et de véritables complémentarités entre les universités et les laboratoires du CNRS et de la FNSP. La mixité dans les grands laboratoires d’excellence apporte la mutualisation des moyens, des connaissances et des compétences, grâce à la proximité entre chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants et chercheurs contractuels. Les activités de recherche et de formation sont inséparables dans nos disciplines. Même dans des formations où les chercheurs CNRS sont peu nombreux, l’implication du CNRS a un rôle moteur, par les moyens qu’elle amène et par la dynamique qu’elle induit. Les grandes U.M.R. permettent de mettre en place de nouveaux projets, d’aider les évolutions thématiques et de renforcer l’interdisciplinarité. Cette complémentarité est en science politique d’autant plus cruciale qu’une partie importante de l’effort de recherche dans notre discipline est le fait de personnel ayant statut de chercheur. C’est là une spécificité de la science politique par rapport à d’autres disciplines proches (le droit, la science économique ou encore l’histoire) qui nous invite à une vigilance particulière quand à la remise en cause d’un modèle de partenariat qui a porté ses fruits depuis plusieurs décennies.

La mixité des tutelles pour les laboratoires a fait ses preuves et nous souhaitons la défendre. Nous souhaitons promouvoir pour le pays une recherche et une formation au meilleur niveau. Pour cela, il faut maintenir et développer la synergie entre établissements d’enseignement supérieur et CNRS, renforcer les partenariats et inciter les institutions à développer des projets scientifiques sur plusieurs années auxquels organismes et établissements universitaires affecteraient conjointement postes et moyens.

Enfin, nous remarquons que l’ANR a un rôle complémentaire de celui du CNRS et ne saurait se substituer à lui. Le pilotage de la recherche par grands projets ne doit pas masquer la nécessité, évidente sur le long terme, d’une recherche fondamentale indépendante, gage de créativité. Les S.H.S., comme d’ailleurs les autres disciplines, ne sauraient être évaluées à la seule aune de leur « utilité » économique ou sociale immédiate.

La mobilité des enseignants-chercheurs

Nous attirons l’attention sur le risque de localisme qui pourrait résulter de cette réforme figeant les carrières des enseignants-chercheurs dans un établissement donné. Nous préconisons un affichage des postes au niveau national, dans la plus grande transparence, et la fluidité dans le passage d’un établissement à l’autre à différents stades de la carrière, comme aux Etats-Unis, en favorisant les procédures de mutation, de détachement et de congé temporaire. Celles-ci ne doivent pas être encouragées uniquement vers d’autres universités, mais aussi vers les grandes écoles, les grands organismes scientifiques (CNRS, FNSP…), ainsi que vers les établissements étrangers lorsqu’il s’agit de congé temporaire. Les autorités universitaires locales (Président, CA, …) mais aussi nationales doivent lutter activement contre les habitudes de recrutement local et les autres biais affectant la qualité du recrutement, qui sont malheureusement la règle dans de nombreux établissements. Notre crainte est que le principe de l’autonomie de recrutement ne favorise pas seulement et même peut-être principalement l’excellence des recrutements mais renforce des pratiques de recrutement fermé peu favorables à la diversification et à l’amélioration des recrutements universitaires. Nous encourageons les instances d’évaluation à publier des statistiques sur ce sujet et à les prendre en compte lors de la négociation des contrats quadriennaux.

Nous proposons de faciliter la mobilité des chercheurs entre leur carrière universitaire et le secteur extra-académique, public ou privé. Ces mobilités sont encore rares, difficiles à mettre en place, et mal reconnues dans la culture française. L’annonce récente par le gouvernement de la mise en place du dispositif « doctorat-conseil », qui permet aux doctorants d’exercer des activités de conseil hors de l’Université, pourrait permettre de développer une culture d’interaction entre universités et entreprises ou administrations publiques. Ces dernières tireraient un grand bénéfice à embaucher plus fréquemment des docteurs, ainsi qu’à attirer des scientifiques à mi-carrière (les 35-40 ans), de façon temporaire ou définitive. Leur retour vers la carrière universitaire après une expérience extra-académique doit être facilité, ainsi que la prise en compte de leur engagement temporaire dans la recherche hors Université. La diminution de la rigidité des carrières du type CNRS actuel sera de nature à encourager de tels échanges.

Les carrières des chercheurs et enseignants-chercheurs

Au moment où les missions du CNRS sont mises en cause, nos associations réaffirment avec force le rôle structurant joué par les chercheurs à plein temps dans de très nombreux laboratoires. La recherche de qualité se fait sur la longue durée et non dans la course incessante aux contrats.

Dans l’hypothèse où la carrière d’enseignant-chercheur deviendrait la règle générale, assortie de procédures locales de recrutements au sein des universités, nous soulignons par ailleurs la nécessité incontournable de maintenir une qualification nationale pour accéder à ces emplois. Les comités nationaux (du type du CNU) devront renforcer leurs exigences sur les capacités des candidats à obtenir cette qualification. De même l’appréciation du niveau de la recherche d’un enseignant en vue des promotions et des primes et les arbitrages entre disciplines continueront à requérir des évaluations sérieuses et extérieures, comme cela se fait dans les autres grands pays scientifiques, les simples critères bibliométriques conduisant à des conclusions souvent trompeuses. Une inquiétude existe concernant la qualité des recrutements dont les présidents des universités porteront la responsabilité : des mécanismes d’évaluation a posteriori s’imposent dans le cadre de la contractualisation. L’AERES doit être dotée de moyens suffisants pour assurer ces missions. Ces évaluations doivent avoir des conséquences effectives au moment de la négociation du plan quadriennal, clairement identifiées discipline par discipline. Il nous semble également nécessaire que le gouvernement garantisse un encadrement réglementaire clair des nouveaux pouvoirs donnés au Président de l’Université en matière de recrutement, qui faute d’une telle réglementation nous apparaîtrait exorbitants et source de conflits juridiques.

Les enseignants les plus actifs en recherche doivent avoir la possibilité de faire de la recherche à plein temps pendant une partie de leur carrière. Ceci devrait tout particulièrement concerner les jeunes recrutés, comme c’est l’usage pour les mathématiciens qui entrent au CNRS et en sortent généralement pour devenir professeurs. Une possibilité est que le CNRS offre des postes d’accueil à certains jeunes recrutés maîtres de conférences ; ils pourront ainsi consacrer une très grande fraction de leur temps à la recherche sur un projet et ceci pour une durée suffisante mais limitée, éventuellement renouvelable après évaluation. Ceci contribuerait à éviter la fuite définitive des cerveaux à l’étranger. Des délégations de cette nature pourraient également être offertes à des enseignants-chercheurs seniors porteurs de projets ambitieux.

L’instauration, après le doctorat, de CDD de 6 ans suscite d’importantes réserves de la part de nos associations. Ils ne devraient en aucun cas devenir la règle générale pour les recrutements. Remarquons que la possibilité de recrutements permanents de jeunes en France est un facteur d’attractivité pour les scientifiques étrangers et que le CNRS est souvent pour cette raison cité comme modèle. Le C.D.D. de longue durée ne pourrait se justifier qu’assorti de l’engagement d’offrir à l’issue du contrat des possibilités de recrutement permanent après évaluation (comme pour les postes de « tenure track » aux Etats-unis), et à la différence du système allemand où l’habilitation non sécurisée entraîne une perte de talents dommageable. Notons aussi qu’un décalage considérable s’est instauré depuis quelques années entre les rémunérations des chercheurs français et celles du marché international, ce qui entraîne pour notre pays la perte d’une fraction, qui ne fait que croître, des meilleurs de nos collègues. Une prise en compte de cet état de fait nous paraît urgente, dans un contexte où de nombreuses disciplines, dont la nôtre, ont les plus grandes difficultés à attirer les meilleurs étudiants dans les carrières de la recherche.

Perspectives

Nos trois associations sont prêtes à participer à des échanges avec les responsables politiques dans les divers cercles de réflexion stratégiques mis en place en ces périodes où de profondes réformes sont en cours. Elles souhaitent agir en coordination avec d’autres sociétés savantes ou associations disciplinaires avec lesquelles elles ont des rapports étroits (AFS, …). Elles sont également disposées à aider au fonctionnement des dispositifs d’évaluation et d’expertise par leur connaissance directe du milieu concerné.

Paris, le 5 décembre 2007

AFSP
AEC.SP
ANCMSP