Le futur contrat doctoral : un CPE pour doctorants jetables ?
Le 15 décembre dernier, une version du projet de décret relatif au futur « contrat doctoral », devant s’appliquer à la rentrée universitaire 2009, a été envoyée aux différents interlocuteurs du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de la DGES, de la DGRH et de la DGRI. Ce contrat doctoral fait partie du chantier ministériel plus large intitulé « Jeunes chercheurs » et a été formellement lancé début 2008.
D’après nos informations, le minsitère ne souhaiterait plus y apporter de modification. Il s’agirait donc d’une version définitive.
Outre les représentants de la CPU (Conférence Permanente des Universités), du CNRS, de l’INRA, des CIES (Centres d’Initiation à l’Enseignement Supérieur, qui forment jusqu’à maintenant les allocataires moniteurs), de la DAJ (Directions aux Affaires juridiques), des Ecoles doctorales, plusieurs représentants de la Confédération des Jeunes Chercheurs (dont est membre l’ANCMSP) ont participé aux réunions au Ministère afin de discuter du futur dispositif.
Dans un premier temps, le contrat doctoral a été considéré par de nombreuses associations de jeunes chercheurs – regroupées au sein de la CJC – comme un outil juridique garantissant un cadre institutionnel sécurisé pour les doctorants financés et comme un levier potentiel d’attractivité des carrières dans l’enseignement supérieur et la recherche. C’est dans cette optique que les représentants CJC ont travaillé avec le ministère durant les différentes étapes de sa rédaction. Plusieurs versions du contrat doctoral ont donc été envoyées durant ces derniers mois, versions sur lesquelles la CJC est restée vigilante pour souligner les points qu’elle considérait comme problématiques et susceptibles de ne pas résoudre, voire de renforcer, la situation précaire de très nombreux jeunes chercheurs.
Après analyse de la dernière mouture du projet, l’ANCMSP s’inquiète de son contenu explicite et implicite, qui tend sur de nombreux points à fragiliser les Jeunes Chercheurs, à ne pas améliorer de manière significative les conditions actuelles des doctorants et à ne pas rendre attractif ce type de contrat (et donc le doctorat).
Vous trouverez ci-après la liste des éléments les plus problématiques.
1. Un contrat : une demi-nouveauté pour une demi-avancée
Le projet institue un contrat doctoral unique de droit public et permet d’homogénéiser les modalités d’embauche des doctorants. Il vise à remplacer les allocations de recherche et les monitorats d’initiation à l’enseignement supérieur (abrogation de leurs décrets de création inscrite dans le projet de décret, article 14), ainsi que les allocations régionales, les financements par des associations (anciennes libéralités régularisées).
Par ce contrat, des droits sociaux sont reconnus et entérinés (congés maladie, protection sociale, cotisation retraite), qui ne concernaient jusqu’à présent qu’une partie seulement des doctorants (uniquement ceux bénéficiant d’un véritable contrat de travail).
Par ce contrat aussi, le doctorant est reconnu comme un personnel (contractuel) de l’université (la recherche doctorale étant la contrepartie de la rémunération), à la spécificité près qu’il est également en formation.
Toutefois, ces éléments ne font pas du futur contrat doctoral une nouveauté et laissent en suspens plusieurs points d’interrogation.
– Tout d’abord, l’idée du contrat n’est pas une nouveauté (contrairement au « plan comm. » présenté par la ministre) : les allocataires et moniteurs étaient déjà signataires d’un contrat et considérés comme personnels de l’université. De même, certains des droits sociaux annoncés avaient déjà été mis en place dans les modifications de 1992 et de 2001 du décret sur le contrat d’allocataire.
– Ensuite, le projet ne fait que confirmer l’installation du doctorant allocataire dans un rapport direct avec son recruteur – le président d’université ou bien le chef d’établissement – mais dont les pouvoirs ont été largement décuplés avec la loi LRU.
– Enfin, le futur contrat ne s’applique pas aux contrats CIFRE puisque le doctorant est employé par une entreprise ou une association avec une aide de l’Etat. Il n’unifie donc toujours pas le statut de doctorant.
2. Un CDD 3 x 1, pour plus de précarité
Contrairement à ce que les associations de Jeunes chercheurs avaient défendu (un CDD de 3 ans), le projet de décret énonce que le contrat n’est que d’1 an, renouvelable 2 fois, voire 3 dans le cadre de circonstances dites « exceptionnelles » c’est-à-dire dues soit à un accident, une grossesse, une maladie du doctorant, soit à des éléments ayant contribué à ralentir son travail de recherche (charges d’enseignement, activités annexes…). Cette prolongation peut aller jusqu’à 4 fois si les deux se conjuguent.
Par rapport aux allocations de recherche créées par le décret du 3 avril 1985 (CDD de droit public d’1 an reconductible tacitement 2 fois, assorti d’un contrat supplémentaire en cas de monitorat d’enseignement), le doctorant peut gagner dans certains cas une année supplémentaire. Ce point est particulièrement important dans le cas des disciplines SHS qui nécessitent dans la pratique un nombre d’années plus important pour mener à bien un travail doctoral que d’autres disciplines.
Néanmoins, 3 points incitent à une extrême vigilance : la période d’essai, la procédure de renouvellement/licenciement du contrat, le modèle imposé de la thèse en 3 ans.
a) Une période d’essai hors des règles et trop longue
Le projet dispose que la période d’essai, non obligatoire dans les cas de CDD et permettant à l’une des deux parties (l’employé et l’employeur) de rompre le contrat, serait d’une durée de trois mois renouvelable une fois. Si la CJC a souligné qu’elle était en accord avec le principe d’une période d’essai, elle a aussi insisté sur le fait que cette dernière ne devait pas être aussi longue. La CJC a donc proposé qu’une période d’essai de trois mois non renouvelable soit de rigueur dans le décret. Il s’agirait ainsi d’éviter de renforcer la précarité du jeune chercheur, qui ne doit pas être considéré comme un personnel « jetable » de l’université.
Cette disposition contredit le droit administratif qui ne prévoit aucune période d’essai pour les contrats de droit public.
Il s’agit donc bel et bien d’une remise en cause inacceptable des conditions de recrutement des agents contractuels de la fonction publique.
b) Une reconduction du contrat fragilisée et une procédure de licenciement inacceptable
Déjà présente dans le système d’allocations (article 3 du décret 85-402 relatif aux allocations de recherche), la reconduction du contrat (ou sa rupture) devrait se faire sur la base d’un rapport d’activité « scientifique » annuel auprès de l’employeur et après avis motivé du responsable de l’Ecole doctorale. C’est donc la même autorité qui prononce la réinscription en doctorat et qui est employeur.
Le contrat pourra être résilié « de plein droit » si la réinscription en doctorat est refusée. Aucune précision de justification du licenciement (pour fautes graves ou sérieuses) n’est apportée.
Il n’y a pas non plus de préavis de licenciement prévu, ce qui n’entraîne pas de versement d’indemnité, pas d’ouverture de droit-chômage, ni de responsabilité judiciaire des parties.
Les dispositions relatives au licenciement, détaillées aux titres XI et XII du décret 86-83 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l’Etat, ne seraient donc pas appliquées ici !
Par ailleurs,et comme le souligne l’analyse de Nicolas Lyon-Caen, doctorant-ATER en Histoire, on peut craindre que la reconduction des contrats se fasse sur d’autres critères que ceux scientifiques. En effet, les budgets destinés aux allocataires sont désormais dans les mains des directeurs d’établissement, qui pourront s’en servir comme variable d’ajustement budgétaire. Tout aussi fondamentalement, il convient de garder à l’esprit que ce décret n’arrive pas seul : il s’articulera de facto aux dispositions de la LOLF et de la LRU. Or, les universités sont désormais autonomes pour distribuer leurs crédits et disposent d’un budget spécifiquement affecté à la rémunération des salariés, par ailleurs « fongible » en investissements en capital physique par exemple (principe dit de « fongibilité asymétrique »). Dans ce contexte, non seulement les managers des universités libres disposent d’une incitation structurelle à couvrir leurs besoins en enseignement par des vacations mais aussi à privilégier, dans le cadre de la distribution des allocations, certaines disciplines caractérisées par leur adéquation aux besoins des acteurs du secteur privé qui sont susceptibles de faire bénéficier l’université de sources privées de financements ou, même, faire l’objet de cofinancements. Si le décret 85-402 du 3 avril 1985 abrogé (décret sur les allocations de recherche) posait dans ses articles 5, 6 et 7 l’existence d’une commission consultative des allocations de recherche auprès du/de la ministre notamment chargée de le/la conseiller sur les priorités disciplinaires, la distribution des allocations n’a désormais plus de cadre national unifié. Aucun garde-fou ne s’oppose à ce que la formation à la recherche dans certaines disciplines soit localement complètement abandonnée et cette simple possibilité ne laisse pas d’être préoccupante.
Les doctorants sous contrat serviront donc de variable d’ajustement budgétaire, et cela au même titre que les vacataires utilisés comme « bouche-trous » du supérieur, sur lesquels est transférée une bonne part des charges d’enseignement, alors même que leur nombre et le travail qu’ils effectuent justifieraient la création massive de postes statutaires d’enseignants-chercheurs !
Par ailleurs, si l’on peut admettre le principe d’une évaluation scientifique annuelle du travail du doctorant, aucun point ne vient préciser que cette évaluation se fera au regard des conditions objectives d’encadrement et de formation offertes aux doctorants par les établissements et les écoles doctorales.
c) Un modèle imposé de la thèse en 3 ans : une cote mal taillée pour les SHS
En premier lieu, l’ANCMSP considère que la durée d’une thèse en sciences humaines et sociales est extrêmement variable en fonction de différents facteurs (difficultés d’accès au terrain, apprentissage d’une ou plusieurs langues, méthodologie d’enquête…). Ce point a souvent été abordé au sein de la CJC.
Ajoutée à l’inégalité des conditions d’encadrement, de formation et de suivi mais aussi de financement, l’imposition d’une durée de thèse de trois ans ne prend pas en compte les spécificités disciplinaires des Sciences de l’Homme et de la Société qui, déjà, n’étaient pas prises en compte dans le système des allocations de recherche (de 3 ans aussi). Dans ces conditions, considérer que le renouvellement du contrat d’un an uniquement comme un fait « exceptionnel » pour les disciplines SHS pose problème.
Au-delà, l’ANCMSP s’inquiète du devenir des postes d’ATER. Ne risquent-ils pas d’être remplacés par des doctorants enseignants (sous contrat doctoral) et des vacataires en nombre plus important encore qu’aujourd’hui ?
3. La reconnaissance du doctorant comme personnel de l’université mais « en formation » : aucune garantie effective
Le futur contrat reconnaît, comme l’allocation de recherche et le monitorat d’enseignement auparavant, le doctorant comme personnel de l’établissement recruteur. Toutefois, aucune garantie précise et sérieuse ne figure dans le texte quant à l’effectivité de la formation professionnelle (à la recherche et à l’enseignement). L’article 6 stipule seulement que « l’établissement employeur s’assure que le doctorant contractuel bénéficie des dispositifs d’encadrement et des formations utiles à l’accomplissement des missions qui lui sont confiées ». Dans ces conditions se pose également la question du devenir des Centres d’Initiation à l’Enseignement Supérieur, créés par le décret de 1989, qui offraient aux allocataires moniteurs (et hélas seulement à eux, pas aux ATER, vacataires…) une formation pour enseigner dans le supérieur.
Aussi bien en terme de recherche que d’enseignement, l’actuel projet de décret ne satisfait pas aux exigences primordiales d’encadrement et de formation des doctorants que demande la CJC.
4-La question des activités « annexes » : quelle liberté de choix pour quelle rémunération ?
Le contrat doctoral prévoit des activités « annexes » (sous-entendu à la recherche doctorale) sous forme facultative. Dans l’état actuel du projet, la liberté de choisir et de diversifier ces « activités annexes » par le doctorant n’est pas assurée. De même n’est pas garantie une compensation (sous forme de salaire ou sous forme de prolongation de l’allocation) en échange de ces activités supplémentaires (charges d’enseignement, expertise et conseil, valorisation scientifique…).
La CJC demande que soit garantie l’obligation d’intégrer le doctorant dans la procédure du choix des activités dites « annexes » dans le décret au côté des différentes catégories de personnels amenés à encadrer le doctorant (directeur de thèse, directeur de l’Ecole doctorale, directeur d’unité).
Au sein de la CJC, l’ANCMSP demande à ce que ces activités supplémentaires, qui réclament du temps et de l’énergie, soient rétribuées par un salaire supplémentaire (comme aujourd’hui les moniteurs qui sont payés pour les heures d’enseignement en plus de l’allocation de recherche) ou par la prolongation au pro rata des heures travaillées du contrat doctoral. Les débats se poursuivent encore sur ce dernier point au sein de la CJC.
Pour l’instant, aucune précision n’est apportée par le ministère sur le niveau de rémunération « plancher », ni sur le niveau de rémunération « plafond » des doctorants, ni même sur le principe d’une double rémunération (alors que les décrets précédents posaient par définition le principe de cette double rémunération). Un arrêté devrait par la suite venir fixer ces montants, ce qui risquerait de mettre les associations de défense des Jeunes chercheurs devant le fait accompli.
Sans cette compensation, le contrat doctoral reviendrait:
– à considérer les doctorants comme de la main d’oeuvre taillable et corvéable à merci;
– à introduire une inégalité de fait entre les doctorants qui n’effectueraient pas de tâches annexes (et pourraient donc se consacrer entièrement à leur recherche doctorale) et ceux qui en feraient. Cela aurait pour effet de dévaloriser ces activités, qui sont pourtant nécessaires à la diversification des compétences et à l’insertion professionnelle des docteurs en dehors comme au sein du secteur académique.
5. La représentation dans les organes universitaires : Jeunes chercheurs cherchent désespérément collège…
Le projet de décret ne prévoit pas de représentation unifiée des jeunes chercheurs auprès des organes universitaires, malgré l’instauration d’un contrat doctoral unique.
Dans le cadre de l’application de la LRU, seuls les allocataires moniteurs, les jeunes chercheurs enseignants contractuels (vacataires remplissant des charges d’enseignement supérieur à 64 h, et ATERs) sont considérés comme des personnels à part entière de l’université, ayant la possibilité de voter et d’être représentés au Conseil d’Administration.
Les allocataires de recherche non moniteurs et les doctorants non financés relèvent du collège usager et ne peuvent voter et être représentés qu’au Conseil Scientifique par les élus Etudiants.
La demande de création d’un collège spécifique de jeunes chercheurs, regroupant les différentes catégories sous un seul et même groupe de personnels salariés pour la représentation dans les conseils centraux des universités est une revendication primordiale de la CJC, pourtant toujours écartée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
6. Le risque de voir l’inscription en thèse conditionnée par l’obtention d’un contrat doctoral
Bien que l’ANCMSP défende le principe d’un financement légal et décent (vrai contrat de travail et droits sociaux afférents) des thèses, il n’est absolument pas envisageable de conditionner l’inscription en thèse à l’obtention du seul contrat doctoral (cf. notamment les nombreuses thèses menées par les enseignants du secondaire ou par des salariés).
Aucune réponse claire n’a pour l’instant été apportée par le ministère à cette préoccupation.
De la même façon, rien ne précise le devenir des « bourses », notamment celles du MAE (assimilables pour la plupart à du « travail au noir » car sans cotisations, sans protection sociale…). On peut légitimement douter d’une harmonisation des conditions par le haut…
L’ANCMSP APPELLE À LA MOBILISATION
L’objectif et l’engagement du gouvernement de faire de la recherche et de l’enseignement supérieur une priorité du budget, en améliorant les conditions d’attractivité des carrières de la recherche et plus spécifiquement les conditions de travail des jeunes chercheurs, ne sont pas respectés.
En outre, les jeunes chercheurs sont touchés de plein fouet par les coupes budgétaires et les réductions drastiques de postes décidées par le gouvernement comme en témoignent la décision de suppression des 225 allocations de recherche par la Ministre Valérie Pécresse début octobre, la réduction du budget des Centres français de recherche à l’étranger dans lesquels de nombreux doctorants effectuent leur thèse, la suppression par le CNRS de la campagne de recrutement de post-doc pour 2009. A cela s’ajoute encore le non-remplacement d’une partie des fonctionnaires partant à la retraite, accentué par le contexte d’autonomie des universités.
Plus spécifiquement, ce sont les jeunes chercheurs en SHS qui risquent de subir le plus violemment les conséquences désastreuses de telles réformes et le mouvement de présidentialisation des universités françaises.
Ici et là, des mobilisations de Jeunes chercheurs aux statuts précaires émergent : à l’EHESS, où les représentants du syndicat Sud ont démissionné, à Toulouse I où s’est formé un mouvement des vacataires, à Lille II…
Contre tout défaitisme, l’ANCMSP soutient les différents appels à la mobilisation lancés par les multiples collectifs sur le terrain, à participer aux Assemblées Générales qui se déroulent dans les universités et invite l’ensemble de la profession à envisager de véritables actions (grèves administratives et grèves) pour contrer la politique actuelle de l’Enseignement supérieur et de la Recherche !
Pour rappel, les prochaines mobilisations auront lieu :
– le samedi 17 janvier : manifestation à l’appel de l’intersyndicale pour défendre le service public d’éducation
–le mardi 20 janvier : manifestation pour la Recherche et l’Enseignement Supérieur
– le jeudi 29 janvier : grève interprofessionnelle à l’appel de l’intersyndicale pour défendre la Fonction publique
L’ANCMSP