Recrutement annulé à Bordeaux 4 : motion du comité de sélection

Le texte suivant a été adressé à la présidence de l’Université Bordeaux 4 et à son conseil d’administration par le comité de sélection du poste MCF 0455, section CNU 04, fléché « Politiques publiques internes et internationales de la forêt et du développement durable », poste ouvert à la session 2009.

Voir également le communiqué commun ANCMSP-AECSP-AFSP réagissant à cette annulation.


Pessac, ce 29 juin 2009

Monsieur le Président de l’Université Montesquieu-Bordeaux 4,
Mesdames et Messieurs les membres du conseil d’administration en formation restreinte de l’Université,

Le conseil d’administration en formation restreinte de l’Université Montesquieu Bordeaux a décidé de ne pas valider la proposition présentée par le comité de sélection qu’il avait constitué pour pourvoir à un poste de maitre de conférences en science politique (MCF 0455/Section 04 CNU) fléché « Politiques publiques internes et internationales de la forêt et du développement durable ».

Cette décision lui revient.

Les membres signataires du comité de sélection souhaitent faire part de leur plus profond désaccord avec cette décision du conseil, manifester leur consternation à l’égard des conditions inadmissibles d’information dans lesquelles cette décision a été prise et marquer leur désapprobation quant aux procédures suivies. Ils regrettent profondément que les membres du conseil d’administration n’aient pas considéré que le recrutement d’un maître de conférences dans une matière (science politique) qui a un profond besoin de renouvellement à l’université Montesquieu-Bordeaux 4, était suffisamment important pour demander un complément d’information (par ailleurs disponible auprès du président – voir plus loin) avant de prendre leur décision. Ils réprouvent avec force le peu de cas fait de la situation des candidats proposés. Ils regrettent le soupçon systématique qui a pesé sur le travail et les propositions d’un comité de sélection, pourtant validé par ce même conseil.

Les membres signataires du comité de sélection contestent nombre d’affirmations faites lors des délibérations du conseil et ayant conduit à une décision aussi inique que tronquée. Ces contestations sont rassemblées ci-dessous en cinq points :

– Le comité de sélection a été constitué selon les règles du décret de 2008, de manière ad-hoc, avec l’accord du conseil d’administration, pour le recrutement d’un maître de conférences sur un poste fléché, en pleine connaissance de cause de la compétence professionnelle de chacun des membres de ce comité. Le conseil se déjuge donc en regrettant dans ses débats oraux cette constitution, en notant l’absence d’un spécialiste forêt, et méconnait par ailleurs gravement les compétences des membres nommés sur l’ensemble des éléments du fléchage du poste ainsi que la nature du fléchage ;
– Le fléchage du poste est explicite. Il est intitulé « politiques publiques interne et internationale de la forêt et du développement durable ». Le fléchage lie tous les acteurs dès qu’il est validé. Il doit être pris au pied de la lettre surtout lorsqu’il est défini de manière aussi précise que dans ce cas, quitte à exclure du concours comme ce fut le cas ici la quasi-totalité des candidats potentiels. Chaque mot du fléchage constitue donc un des éléments constitutifs de la demande précise du conseil d’administration. Le comité de sélection dans sa pratique et dans ses rapports intermédiaire et définitif remis au cours de la procédure et à la fin de la sélection au président de l’université, a expressément décidé de s’en tenir à une lecture stricte du fléchage alors que des pressions existaient pour une lecture large et par exemple uniquement thématique. Dans ses délibérations, le conseil d’administration en formation restreinte viole pour sa part systématiquement le fléchage qu’il a pourtant lui-même validé en restreignant toute son argumentation au seul mot « forêt ». Le fléchage est méthodologique (politique publique et analyse comparative); il est thématique (forêt et développement durable); et il s’inscrit dans une discipline (la science politique). Cela suppose que tout débat sur ce recrutement prenne en compte l’ensemble de ces éléments et intègre la dimension recherche et la qualité pédagogique des candidats. Le fléchage est indissociable de cet ensemble et pas du seul objet forêt ; sinon il aurait été expressément centré sur le seul mot thématique « forêt ». L’université a besoin pour l’un de ses masters professionnels de compétences sur la forêt, cela est incontestable ; cependant compte tenu du nombre d’heures de cours très limité sur la forêt dans la discipline science politique et des besoins des autres masters et autres années en science politique à l’université, il est non moins contestable que cet objet ne constituait qu’une partie réduite de la demande de l’université. Le conseil a violé ainsi son propre fléchage tel que publié, le remettant en cause au mépris de ses propres choix et des principes fondamentaux de tout concours ;
Le conseil d’administration a par ailleurs été abusé à plusieurs reprises au cours de sa délibération par des informations tronquées et insuffisantes. L’information la plus défaillante, par ailleurs systématiquement propagée de l’extérieur du conseil sous la forme de rumeurs organisées constituant une désinformation volontaire, a pu faire penser que les deux candidats proposés par le conseil n’avaient pas de compétences sur la thématique du fléchage alors qu’un autre candidat non retenu par le comité de sélection après audition avait une compétence reconnue. Sans nier en aucune manière la compétence du candidat non proposé par le comité (tout en rappelant que le fléchage était thématique, méthodologique et disciplinaire), le comité souhaite souligner l’erreur manifeste d’appréciation commise par le conseil lors de sa délibération. La comparaison formelle des travaux de thèse faite au cours du conseil était tronquée. Tout a été fait pour montrer que le candidat classé 1 (le candidat classé numéro 2 a été totalement ignoré ce qui est ici encore particulièrement inacceptable et constitue une carence d’exercice de sa compétence de la part du conseil) n’avait aucune compétence thématique – ce qui est manifestement faux, il suffisait pour cela de lire son cv – alors que le candidat non classé en avait – ce qui est vrai et non contesté par le comité de sélection. Ni l’un ni l’autre, contrairement à ce qui a été affirmé pour porter préjudice au candidat classé 1 et laisser penser que le comité de sélection avait dévoyé sa fonction, n’ont rédigé leur thèse sur la forêt et le développement durable. Seul le second candidat proposé, splendidement ignoré par le conseil, ce qui constitue aussi un point plus que discutable, a écrit une thèse sur une thématique de développement durable. Les 6 candidats retenus pour l’audition avaient tous bien évidemment des travaux sur les thématiques du fléchage, dans le respect le plus strict de celui-ci. Ces travaux pouvaient prendre la forme d’une thèse, d’une HDR, mais aussi d’articles publiés et de mémoires validés et révélaient pour tous les candidats leur intégration dans des recherches spécialisées dans ces domaines (et pour certains, dans des réseaux internationaux). Une simple lecture du cv aurait permis aux membres du conseil d’administration de constater que les deux candidats classés disposaient de travaux portant sans la moindre ambigüité sur la thématique du fléchage.

Deux éléments matériels confirment que la sélection du comité de sélection était correcte sur la thématique :

– Sur les 6 candidats retenus initialement par le comité de sélection pour l’audition (sur plus de 50 candidats), l’une d’entre elle, Mademoiselle Magalie Bourblanc, a fait savoir qu’elle renonçait à l’audition car elle venait d’être recrutée à l’INRA, ceci démontrant que les thématiques du fléchage étaient respectées par le comité ;
– Monsieur Yann Raison du Cleuziou, candidat classé numéro 1 à Bordeaux, a été classé n°2 à Lyon II pour un poste MCF 04 rattaché au laboratoire d’études rurales, et n°3 pour un post-doc de l’INRA sur « La restauration des continuités écologiques. Réflexions sur la conservation de la biodiversité et l¹aménagement du territoire sur la Réserve de biosphère de Fontainebleau et du Gâtinais ». Ici encore la présomption de conformité de cette candidature au fléchage thématique de Bordeaux est constituée.

Si erreur sur le fléchage ou viol du fléchage il y a eu, elle vient manifestement bien du conseil d’administration en formation restreinte.

Le comité de sélection regrette que les membres du conseil d’administration n’aient pas cherché à disposer de réponses validées aux doutes qu’ils avaient. Il regrette et s’étonne que le rapport sur le concours, rédigé par le président du comité et avalisé par les membres du comité de sélection n’ait pas été soumis à l’attention du conseil. Ce rapport dans sa version définitive ayant été mis à la disposition du président de l’université dès le 20 mai, était susceptible de répondre aux interrogations légitimes du conseil. Cela n’a pas été fait et constitue une perte de chance manifeste pour les candidats proposés. Le président de l’université a reconnu cette insuffisance et à fondé la convocation d’une deuxième réunion du CA restreint le lundi 15 juin sur la diffusion de ce rapport aux membres du CA et un réexamen de la décision du CA. Cette démarche de nature exceptionnelle engagée par le Président prouve s’il en était besoin l’importance que revêtait ce rapport dans la constitution des opinions des membres du CA. Cette réunion ayant été considérée comme non légale par les conseils juridiques de l’université, aucune nouvelle décision n’a été prise ;
– Le comité s’étonne enfin d’autant plus de la décision du conseil d’administration que le candidat classé numéro un ayant été choisi au premier tour de scrutin à l’unanimité d’un comité constitué par les autorités de l’université, de membres très différents par leurs attaches, leurs statuts et leurs formations et avec l’accord du CA, cela aurait du être un élément suffisant de doute pour demander au moins un complément d’information avant de prendre une décision. Or cela n’a pas été le cas, ce qui laisse penser que le conseil d’administration suspectait le travail du comité de sélection et mettait a priori en cause son impartialité. Le conseil d’administration n’a pas rempli sa fonction d’évaluation de manière sérieuse et diligente, alors qu’il siégeait en formation de jury. Il a manifestement suspecté le travail du comité de sélection sans avoir la moindre information validée sur ses conditions de fonctionnement.

Le comité considère donc que pour ces différentes raisons le conseil d’administration en formation restreinte, siégeant en formation de jury de concours, a ouvertement faussé les résultats de ce concours par négligence, par défaut d’informations, par erreur matérielle d’appréciation et en rompant l’égalité entre les candidats.

Le comité souligne l’extrême gravité de cette situation. Celle-ci est d’abord particulièrement préjudiciable aux candidats classés qui se voient privés d’une chance de recrutement sur la base de ces erreurs, inconséquences et défaut de vigilance du conseil d’administration et de son président. Elle est aussi particulièrement préjudiciable à une discipline dont les postes sont particulièrement rares. Elle est enfin préjudiciable à ce mode même d’organisation de recrutement puisqu’elle conduit un conseil d’administration a se déjuger gravement à la fois sur le fléchage du poste et sur la composition du comité de sélection, à se substituer scientifiquement sans en avoir aucune compétence tant au conseil scientifique qu’au comité de sélection dans la procédure de validation finale de leurs propositions et avis. De la sorte la notion de concours et celle d’égalité sont vidées de tout leur sens. Il y a là un précédent catastrophique à la fois pour la réputation de l’université Montesquieu Bordeaux 4 et pour les conditions même de mise en œuvre des nouvelles procédures de recrutement telles que définies par le décret 2008-333 du 10 avril 2008.

Le comité de sélection demande instamment au président de l’université Montesquieu-Bordeaux 4 en tant que président du conseil d’administration, de préciser les suites qu’il entend donner à cette situation inacceptable.
Il entend dès la remise de ce courrier à ses premiers destinataires, appeler respectueusement l’attention de Madame Le Ministre de la recherche sur ce précédent qui vient vider de tout son sens et de sa nature même le décret 2008-333 et laisse planer des doutes considérables sur la viabilité de ses procédures, longuement contestées au cours des derniers mois et longuement remaniées pour donner les garanties les meilleures sur l’objectivité des recrutements ;

Il appelera l’attention de toutes les instances professionnelles de la science politique mais aussi plus largement des autres disciplines universitaires concernées par cette application particulière de la LRU, sur ce détournement de procédure qui vient créer un précédent inacceptable, ternir la réputation de l’université Montesquieu Bordeaux 4 et porter un préjudice significatif aux candidats sélectionnés mais aussi aux étudiants en science politique de l’université qui ne pourront pas disposer d’un encadrement suffisant l’an prochain;

Le conseil envisage de former un recours juridictionnel et a pris d’ores et déjà toutes les dispositions en ce sens, pour que le texte de la loi ne soit plus ainsi bafoué et demande à toute personne physique et morale ayant subi un préjudice du fait de cette situation de le rejoindre dans ce projet.

Cette lettre d’abord présentée au Président de l’Université Montesquieu-Bordeaux 4 et aux membres du conseil d’administration en formation restreinte de l’Université sera ensuite adressée à Madame le Ministre de la Recherche, et à l’ensemble des associations professionnelles concernées.

Signataires

Dominique Darbon (Professeur, SciencesPoBordeaux) ; Président du comité de sélection.
Stéphane Doumbé-Billé (Professeur, Université Lyon).
Patrice Duran (Professeur, ENS Cachan).
Marion Paoletti (Maître de conférences, Université Bordeaux 4).
Pierre Sadran (Professeur, SciencesPOBordeaux).
Bruno Villalba (Maître de conférences, Institut d’études politiques de Lille).
Julien Wesbein (Maître de conférences, SciencesPOToulouse).