Rapport Aghion sur l’excellence universitaire

Après un premier rapport d’étape, très critiqué, en janvier 2010, l’économiste Philippe Aghion a rendu son rapport final à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en juillet 2010.


Trois recommandations

Voici une rapide analyse des trois recommandations du rapport. On se dispensera de commenter les graphiques, certes très ludiques, de l’auteur, mais sans grand intérêt autre que cosmétique.

  1. Accroître les moyens de façon significative. Ce sont les termes de l’auteur, qui réalise de bien jolis graphiques pour en arriver à l’évidence : “les meilleures universités disposent de budgets très élevés” (Aghion I, p. 14-16). Le volume de dépense par étudiant doit augmenter dramatiquement, jusqu’à un objectif de 2% du PIB allant dans l’enseignement supérieur à moyen terme (Aghion II, p. 46 ; le critère européen ERA est pour sa part fixé à 3%). Le terme “moyens” apparaît sur 34 des 108 pages du rapport Aghion I+II : le message est clair, non ? Malheureusement, les caisses hexagonales sont vides, une fois opérés les remboursements du bouclier fiscal, comme en témoigne la chute catastrophique de l’effort de recherche.
  2. L’autonomie réelle. Le rapport d’étape Aghion I portait sur l’autonomie et ses immenses qualités aux yeux du rapporteur, qui adjoignait son raisonnement de sympathiques régressions linéaires réalisées sous Stata. Le rapport final Aghion II reprend cette revendication, mais en rappelant au commanditaire ministériel ce qu’il avait déjà écrit dans son premier texte : l’autonomie doit s’accompagner d’un équilibre des pouvoirs au sein de l’université. S’inspirant du modèle américain, l’auteur écrit que “l’excellence universitaire repose sur la mise en place d’une gouvernance équilibrée entre légitimités exécutive et académique” (Aghion I, p. 4, Aghion II, p. 4). Cet équilibre est oublié dans la LRU, et l’auteur appelle à un rééquilibrage par la création d’un sénat académique (l’équivalent d’une commission médicale d’établissement en milieu hospitalier) et d’un “board of trustees”, sorte de conseil extérieur où siègent des personnalités extra-universitaires et des diplômés de l’université. Gageons que le ministère sera, une fois encore, sélectif dans sa lecture des recommandations.
  3. L’orientation à deux temps. Philippe Aghion recommande des parcours de premier cycle flexibles, suivies de spécialisations progressives, dans un système général fondu en un collège universitaire unique pour le premier cycle (Aghion II, p. 48). L’auteur n’ignore pas que ce système est très éloigné du système actuel, qui fonctionne sur la base du cloisonnement entre établissements et filières à différentes “vitesses”.

Les recommandations 1 et 2 (moyens significatifs et autonomie réelle) conduisent à une recherche de qualité, et la recommandation 3 conduit à une orientation de meilleure qualité. Comme quoi, même en s’inspirant principalement d’universités américaines heurtées de plein fouet par la récession économique, on peut arriver à régler tout ce qu’il y a à régler dans le système d’enseignement supérieur et de recherche français : un excellent rapport si l’on s’en tient à la lettre de mission !

Le problème réside naturellement dans le tout dernier point du rapport (Aghion II, p. 58) : “Ces recommandations nécessitent un engagement financier des Etats européens nécessaires au vu des retours socio‐économiques attendus.” La France s’est engagée, à chaque fois qu’on lui en faisait la demande (et en prenant même parfois l’initiative), à augmenter le budget dévolu à la transition vers une “société de la connaissance” et autres knowledge and innovation economies européennes.

Dream on… et realpolitik universitaire

Outre le penchant “productiviste” du rapport, déjà souligné par ses critiques, on doit surtout s’interroger sur la pertinence d’un exercice aussi idéaliste que celui proposé par le rapport. Les variables lourdes du système universitaire (budgets et organisation institutionnelle) ont très peu de chances d’attirer une nouvelle initiative gouvernementale dans les années à venir, étant donné que le nécessaire a été réalisé au niveau législatif pour s’assurer précisément que l’État ne porterait plus de responsabilité dans ces domaines, via un désistement de la tutelle exercée sur les présidents d’université dopés à la responsabilité élargie et désormais à la tête d’une entreprise où la majorité des personnels n’appartient déjà plus à la fonction publique.

Il est parfois recommandable, pour effectuer une carrière dans certaines spécialités des sciences économiques, de travailler sous des hypothèses assez détachées du champ des réalités pratiques. Pour réformer l’enseignement supérieur et la recherche, peut-être vaudrait-il mieux commencer par un peu de realpolitik universitaire, en chiffrant précisément les moyens financiers et humains que requiert un système d’enseignement supérieur et de recherche d’excellente qualité.