Qu’est-ce qu’on attend ?

Dans un contexte où le gouvernement démolit au pas de charge toute notion d’ESR comme service public, et réprime brutalement toute contestation, mobilisons-nous maintenant, en visant à entraver la machine administrative. Cela demandera, plus que des innombrables tribunes dans la presse de gauche : courage, solidarité, et une clairvoyance sur l’efficacité de nos actions.


En ce début d’année 2019, plusieurs initiatives émergent afin de poursuivre les luttes entamées à l’automne, et dans le prolongement du printemps dernier, contre la politique du gouvernement concernant l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Nous nous en réjouissons, au vu des mesures prévues ou prévisibles.

Pour rappel, au menu cette année :

  • explosion des frais d’inscription
  • réduction drastique des postes CNRS
  • écrasement du pouvoir de jugement des scientifiques dans les recrutements
  • et toujours la baisse des salaires (gel du point d’indice, au point que les vacations sont désormais payées sous le SMIC)

Pour la suite, les projets du gouvernement sont connus de longue date (cf. note de R. Gary-Bobo, suivie à la lettre jusqu’à présent) :

  • explosion des frais d’inscription (suite)
  • modulation des services des enseignant·e·s-chercheur·e·s
  • fin du recrutement de fonctionnaires

En résumé, libéralisation et managérialisation à marche forcée. Le gouvernement a prévu d’écraser toute notion d’ESR comme service public financé par l’impôt, et avance sans état d’âme. Si nous voulons nous opposer à quoi que ce soit de ce programme, il va bien falloir se mobiliser, et c’est le moment.

Au cas où certain·e·s auraient des doutes sur la volonté de dialoguer de ce gouvernement, prenons l’exemple des frais d’inscription. Nous avons été convié·e·s, au titre de la CJC, par le MESRI à une « concertation » expresse sur le sujet, en novembre 2018. Une aimable conversation, mais durant laquelle nos interlocuteurs ont omis d’aborder l’explosion des frais d’inscription, que le premier ministre allait annoncer quelques jours après. Il semble que même la CPU n’ait pas été concertée adéquatement. Rendons-nous à l’évidence : les décisions sont prises à Bercy, les dirigeant·e·s du MESRI sont réduit·e·s à des rôles de pantins, et aucune discussion n’est à l’ordre du jour.

Que proposons nous, en face ? Il serait bon de tirer les enseignements des mobilisations de l’an dernier contre ParcourSup. Nous avons vu des mobilisations énergiques d’étudiant·e·s, aussi de jeunes chercheur·e·s. Et quoi du côté des titulaires, celles et ceux qui dans cette équation ont le statut le plus protecteur ? Des discours, beaucoup de tribunes dans la presse [1] quelques manifestations syndicales dépeuplées, mais bien peu d’actions pouvant chatouiller ce gouvernement. Les syndicats de titulaires avaient voté la grève le 5 mai 2018 à l’issue de la Coordination nationale des universités, sous la pression des non-titulaires mobilisé·e·s, puis n’ont rien mis en œuvre pour la faire. Ils n’ont donc eu, de notre point de vue, ni la capacité ni l’envie d’être moteurs dans les mobilisations [2]. À nouveau ils appellent à la manifestation le 5 février afin de converger « avec celles et ceux qui luttent aujourd’hui ».

Mais avant de faire converger, encore faut-il lutter. Or des luttes du côté des personnels enseignant·e·s chercheur·se·s, voilà longtemps que l’université n’en a pas connu, à l’exception de mouvements de non-titulaires.

Pour préciser, selon nous les modes d’action peuvent être classés en deux catégories :

  • Ce qui ne marche pas et ne fait trembler personne à Bercy ou rue Descartes : port d’un carré rouge à la boutonnière ; innombrables tribunes (toujours signées nominativement…) dans Libération ou Mediapart ; activisme sur les réseaux sociaux ; grèves d’une journée, qui pour les enseignant·e·s chercheur·se·s s’apparentent davantage à de l’absentéisme tout en étant payé, etc.
  • Ce qui marche, nous donne un pouvoir de nuisance et une éventualité de nous faire entendre : grève prolongée ; rétention des notes ; perturbation des lieux de décision (notamment des conseils d’administration des établissements) ; blocages et occupations de nos lieux de travail. Nos collègues titulaires le savent bien : les deux seules victoires dans l’ESR dans les vingt dernières années ont été obtenues par la menace de chaos administratif par des démissions massives de directeurs de laboratoires (en 2004, mouvement « Sauvons la recherche »), et des grèves soutenues (en 2009, de la part des enseignant·e·s-chercheur·se·s contre la modulation de service).

Certes toutes les initiatives sont bonnes, et les moyens d’action peuvent être complémentaires, mais à la seule condition de viser la cumulativité, l’unification, et surtout l’action matériellement efficace. Nous sommes nombreuses et nombreux à avoir une idée assez précise de quel ESR nous souhaitons. En revanche nous sommes beaucoup moins nombreux·se·s à mettre de côté nos stratégies individuelles, et à agir collectivement de façon conséquente. La défense d’une certaine conception de notre travail ne dispense pas de tenir un piquet de grève, ou un rond-point. Or, nous pouvons arriver à lutter efficacement : concernant les frais d’inscription des étudiant·e·s et doctorant·e·s étrangèr·e·s, actuellement 13 présidences d’universités se sont engagées, sous la pression de mobilisations locales, à ne pas appliquer la hausse des frais à la rentrée prochaine, et ce nombre augmente chaque semaine.

Nous appelons donc à nous réunir dans des assemblées générales afin d’élaborer des actions qui entravent la machine administrative, notamment des formes de blocage et de grève, et faire pression sur les personnes qui disposent d’un tant soit peu de pouvoir dans nos établissements. Enfin, si ce n’est pas déjà le cas, n’hésitons pas à rejoindre nos concitoyens qui nous donnent chaque samedi une leçon de militantisme. Au passage, nous apportons tout notre soutien à Pascal Maillard et à Louis Boyard, dont nous apprenons qu’ils ont été blessés en manifestation ce samedi. Vu le niveau de brutalité que n’hésite pas à utiliser ce gouvernement pour réprimer les contestations, nous ne pourrons faire face qu’en faisant preuve de courage et de solidarité.

Le bureau de l’ANCMSP

[1] Nous avons recensé 45 tribunes (via Europress, Mediapart et Politis) ayant pour objet une opposition à ParcourSup entre le 15 janvier et le 21 septembre 2018, dates d’ouverture et de fermeture de la plateforme, soit une tribune tous les 5 jours et demi. Actuellement nous recensons 29 tribunes contre la hausse des frais d’inscription, soit une tribune tous les jours et demi. À ce stade, les personnes intéressées ont probablement compris.
[2] Préférant se concentrer sur les élections professionnelles de décembre dernier, et sur les négociations des primes des titulaires. Si les directions syndicales ont sans doute leur part de responsabilité, ce positionnement est probablement aussi la traduction de la très faible organisation militante de notre milieu.