Dispositions du décret
Quand y en a plus, y en a encore ! L’application de la LPR s’accompagne d’une nouveauté pour les docteur-es : depuis le 4 novembre 2021, le post-doctorat n’est accessible qu’aux docteur-es ayant soutenu leur thèse depuis moins de trois ans (au moment de la signature du contrat), pour une durée maximale limitée à quatre années. Pris-es entre deux injonctions contradictoires – le raccourcissement de la durée des thèses et l’accumulation d’expérience professionnelle avant d’être recruté-es –, les chercheur-ses non-titulaires font face à un nouveau facteur de précarité, mais aussi d’inégalités. En faisant mine de vouloir limiter l’instabilité professionnelle post-thèse à 3 ans, cette disposition laisse malgré tout ouverte la question du devenir des docteur-es n’ayant toujours pas obtenu de poste 3 ans après leur soutenance, pour qui cette règle ressemble bien à une double peine… De plus, elle pourrait potentiellement renforcer la dualisation du marché du travail précaire post-thèse, avec d’un côté des post-doctorats offrant de bonnes conditions de travail, et de l’autre des postes sous d’autres statuts, moins rémunérateurs et moins protégés. Cela favoriserait, une fois encore, les docteur-es bien inséré-es dans les réseaux qui bénéficieraient de ces contrats ‘recherche’, en vertu de l’effet Matthieu déjà maintes fois démontré dans la recherche académique. Ces dispositions sont aussi susceptibles de renforcer les inégalités genrées déjà fortes dans les trajectoires professionnelles.
Délai et durée : renforcement des inégalités de genre et des rapports de force entre porteur-ses de projets et non-titulaires
L’article L412-4 du Code de la recherche, modifié par l’article 7 de la LPR explique que :
« Le contrat post doctoral doit être conclu au plus tard trois ans après l’obtention du diplôme de doctorat, pour une durée minimale d’un an et maximale de trois ans. Le contrat est renouvelable une fois dans la limite d’une durée totale de quatre ans. Le contrat peut être prolongé dans la limite de la durée des congés pour maternité ou adoption et des congés de paternité et d’accueil de l’enfant, pour maladie et pour accident du travail. Il précise les engagements de l’établissement concernant l’accompagnement du bénéficiaire du contrat, notamment en matière de formation professionnelle et de périodes d’insertion professionnelle en France comme à l’étranger. »
Ainsi, si le contrat ne peut être conclu plus de trois ans après la soutenance, il peut toujours courir après cette date : d’une durée de trois ans, il peut être renouvelé une fois pour durer jusqu’à 4 ans maximum. Il peut également être prolongé en raison d’un congé parental ou congé maladie qui aurait lieu pendant le contrat. Par contre, le délai maximal de trois ans post-thèse pour conclure un contrat de postdoctorat ne compte aucune dérogation. C’est-à-dire que les personnes ayant été en congé maternité, maladie ou parental ne peuvent rallonger d’autant les trois ans post-thèse, contrairement à ce qui est fait dans d’autres pays européens. C’est donc accroître d’autant les inégalités, en particulier de genre, dans les trajectoires des jeunes chercheur-ses !
D’autres dispositions encadrent ces post-doctorats. Afin de prévenir la succession de contrats courts ne permettant pas de préparer les concours, ces post-doctorats ne peuvent durer moins d’un an. Néanmoins, le dispositif de recherche “par objectif” laisse la possibilité de ne pas préciser le terme du contrat, lequel peut être fixé au moment de “la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu”. Or, aucun garde-fou ne précise de marche à suivre en cas de désaccord entre l’employé-e et le-la responsable du projet quant à la réalisation effective de la mission qui, dans tous les cas, est censée être accomplie en maximum quatre ans ! Les non-titulaires sont ainsi peu protégé-es des rapports de force et de dépendance qui existent déjà entre elleux et les porteurs et porteuses de projets.
Inégalités de salaire et autonomie des post-doctorant-es
Le décret précise l’objectif visé, à savoir la “mise en œuvre d’un contrat de transition professionnelle permettant de fournir au jeune chercheur ou à la jeune chercheuse une expérience professionnelle complémentaire au doctorat lui permettant d’approfondir sa pratique de la recherche, de faciliter sa transition professionnelle vers des postes pérennes en recherche publique ou privée et de prendre, le cas échéant, des responsabilités scientifiques”. Il précise les modalités de recrutement, les informations à faire figurer sur la fiche de poste (article 2) et les éléments présents dans le contrat (article 3).
La rémunération minimum est fixée par arrêté de 2 146 euros brut, puis de 2 271 euros brut à partir du premier septembre 2022. Cela nous amène à une rémunération moins élevée que la revalorisation des contrats doctoraux établis en 2025… De même, ce décret ne prend pas la peine d’évoquer les activités concrètes des post-doctorant-es, les questions de propriété des données, ni les marges de manœuvre qui leur sont laissées pour réaliser leur propre recherche ou leurs candidatures à des postes de titulaires. Or, ces enjeux sont centraux pour que les post-doctorats soient réalisés dans de bonnes conditions. Jusqu’à présent, ils sont le plus souvent laissés à l’appréciation des responsables de projet et peuvent être particulièrement contraignants, comme dans le cadre des projets européens (ERC). En revanche, le décret fait la part belle aux exigences d’expériences à l’étranger (article 4), excellence oblige, et à l’orientation professionnelle (article 5).
On remarque également un flou total sur les critères précis permettant de déterminer si l’emploi post-doctoral proposé apporte réellement une “expérience professionnelle complémentaire au diplôme de doctorat” pour les docteur-es, ou s’il ne constitue qu’une voie d’exploitation de main-d’œuvre contractuelle hyper-qualifiée à bas coût.
Renforcement de l’effet Matthieu et dualisation du marché du travail post-thèse
Les institutions de recherche publique se sont empressées, dès cette année, de faire respecter cette nouvelle mesure. C’est particulièrement le cas des institutions proposant les contrats les plus prestigieux (ANR, InSHS, INED…). En effet, ces contrats sont recherchés car ils sont souvent plus longs et laissent une grande autonomie, nécessaire à la valorisation des résultats de la thèse et à la constitution des dossiers de candidature.
Qui dit nouvelles restrictions, dit nouvelles stratégies de contournement. Les projets de recherche ont toujours besoin de main d’œuvre, et les collègues non-statutaires n’ayant toujours pas de poste après trois ans sont obligé-es de trouver une source de revenu dans une précarité qui s’accroît. La solution de contournement privilégiée consiste donc à conclure des contrats d’ingénieur-e de recherche ou d’étude. Or, ces contrats sont moins bien rémunérés, comptent moins pour le calcul de l’ancienneté et peuvent également poser problème concernant la propriété des données produites au cours du projet. De plus, certains employeurs tentent de contourner l’une des rares mesures protectrices de la LPR, en proposant des contrats d’ingénieur de recherche de moins d’un an. Ces nouvelles mesures sont donc susceptibles de renforcer la dualisation du marché de l’emploi dans la recherche après la thèse, à l’instar des postes de maitres.se de conférence contractuels, renforçant les inégalités existantes entre docteur-es sans poste.
Des post-doctorats de droit privé ?
Finalement, la LPR avait créé le “doctorat de droit privé”, elle crée désormais le “post-doctorat de droit privé” (article L431-5 du Code de la recherche). De même que son jumeau public, celui-ci doit être conclu dans les trois ans suivant la soutenance, auprès des “entreprises de droit privé ayant une activité de recherche et développement”, des “établissements publics de recherche à caractère industriel et commercial” ou des “fondations reconnues d’utilité publique ayant pour activité principale la recherche publique”. La durée de ce CDD est d’un an minimum et quatre ans maximum, avec la possibilité de deux renouvellements, chacun d’un an maximum. Aucune rémunération minimale n’est précisée.
Ce que devrait être le post-doctorat
Si nous nous sommes positionné-es dernièrement sur la création d’un statut post-doctoral, les contours de celui que dessine la LPR ne sont évidemment pas ceux que nous défendons, au contraire ! Nous demandons notamment une augmentation de la durée minimale des contrats post-doctoraux, une revalorisation des grilles salariales et une sanctuarisation d’un temps dédié à la recherche propre de la personne sous contrat, qui ne dépende pas de négociations inter-individuelles avec les chercheur-es titulaires portant les projets de recherche. Dans un contexte de pénurie de postes et de multiplication de la charge liée à la constitution de dossiers de candidature, non seulement pour obtenir un poste titulaire, mais aussi pour obtenir des postes précaires, il est absurde de demander aux candidat-es de trouver un poste en moins de trois ans. Nous rappelons que les auditionné-es MCF et CNRS en 2020 avaient soutenu leur thèse il y a 4 ans en moyenne, ce qui relève d’une performance de moins en moins envisageable à mesure que le nombre de postes se raréfie. Il est urgent de prendre en compte les conditions de travail et de revoir la considération accordée aux jeunes chercheur-ses, qui fournissent la majeure partie du travail empirique et scientifique sur les projets, en composant avec leur passion, leur épuisement professionnel et le chantage à l’emploi renforcé par les formes contractuelles présentées ci-dessus.
Communiqué du 1er juin 2022, modifié le 3 juin 2022.