Bonne année, et surtout, la précarité !

Le cortège de vœux qu’accompagne une nouvelle année suppose généralement de souhaiter le meilleur à son prochain. À se fier aux signaux de défiance qu’adresse le gouvernement au monde de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), pas sûr que 2022 ne voie s’exprimer d’aussi bonnes intentions.

L’année 2021 a déjà été particulièrement éprouvante, notamment à cause des dispositifs sanitaires illisibles, volatils ou simplement inapplicables. Nous avons vu autour de nous nombre de collègues exploser en plein vol sous la pression des demandes d’informations d’étudiant.e.s angoissé.e.s, fragilisé.e.s et poussé.e.s par dizaines de milliers dans les files de l’aide alimentaire à la suite de la pandémie de Covid-19. L’année 2021 est aussi celle de Scienceporcs et de l’ouverture de la parole sur les violences sexuelles et sexistes dans l’ESR : contrairement à une croyance tenace, l’exercice des sciences sociales ne protège évidemment pas des pratiques immondes. 

Pendant ce temps, le bâteau ESR coule, submergé par le recours de plus en plus systématique aux vacataires pour assurer les heures de cours dans des conditions d’emploi et de travail déplorables, par la multiplication des inégalités face aux conditions d’exercice de la thèse, la précarisation des jeunes chercheur.se.s, et l’inaction de la plupart des titulaires. Les plus visibles d’entre eux – l’orchestre d’intellectuel.le.s de plateaux TV mené par notre ministre de tutelle – ne trouve rien de plus important que de claironner contre l’« islamo-gauchisme », « l’intersectionnalisme » ou le « wokisme ». Les concours d’indignations que nous voyons sur les réseaux sociaux et par l’émergence de pétitions semblent servir à « rassurer » quant aux bonnes intentions de chacun.e.s mais nous empêchent de penser plus concrètement et collectivement l’amélioration des conditions de travail pour les non-titulaires et, parmi elleux, les plus précaires.

S’agirait-il de dissimuler les fissures qui, de toutes parts, lézardent l’édifice de l’Université publique française ? Ouvertement mis en cause et structurellement hors d’état d’assurer leurs missions les plus essentielles, les personnels de l’ESR, et surtout les plus précaires d’entre eux, ont – en 2021 plus que jamais – essuyé les plâtres !

Ces douze mois d’incurie politique et sanitaire couronnent un bilan quinquennal désastreux pour l’ESR, marqué par l’adoption de la loi dite « Orientation et réussite des étudiant.e.s » (ORE) et la mise en œuvre de la « Loi de programmation de la recherche » (LPR). On le sait, les dispositions de cette dernière visaient à réformer le financement de l’ESR pour polariser le monde académique : d’un côté les établissements sous-dotés censés absorber la massification de l’accès aux études supérieures, de l’autre les fastes têtes de gondoles de la compétition internationale et du classement de Shanghai. Même s’il n’est pas encore tout à fait advenu, cet horizon se profile déjà, saturé des contrats pourris par lesquels les établissements sont appelés à étoffer leur armée de réserve. Alors que l’opposition entre titulaire d’un poste et vacataire structurait les facultés, la LPR prévoit de combler les amateurs.ices de complexité grâce à une série de contrats précaires, mais bien rémunérés pour être « compétitifs » sur le marché du travail international et attirer les « talents » : « CDI de mission », « chaires de professeur.e junior », et autres « tenure-tracks ». Si ces bacs à sable dorés réduisent la précarité en rémunérant (grassement) quelques-un.es, ils signifient davantage de précarité pour toutes celles et ceux qui font vivre la mission d’enseignement de l’Université au quotidien. 

À cet égard, pas de pitié pour les gueu.ses.x : 2022 sera peut-être pour elles et eux l’année de la découverte de la réforme de l’assurance-chômage. Le décret relatif au régime d’assurance chômage, percutera frontalement les revenus de très nombreux.ses précaires ayant alterné différents contrats courts et périodes de chômage durant la thèse ou l’après-thèse. 

Parmi les changements phares de cette mesure : 

  • Il faudra cotiser 6 mois au lieu de 4 pour ouvrir ses droits au chômage ;
  • Les droits seront calculés sur base du salaire moyen de toute la période, chômée ou travaillée, et non plus sur les seuls jours travaillés ;
  • L’indemnisation partielle par Pôle emploi en cas d’emploi moins rémunéré que le précédent contrat ne sera plus possible 

Les doctorant.e.s et docteur.e.s, alternant contrats précaires et chômage, cumulant les statuts, ayant recours au statut d’auto-entrepreneur, aux vacations ou à d’autres formes de rémunération para-légales, seront les premier.e.s touché.e.s par cet effondrement des droits. À terme, cette réforme pourrait avoir un effet quasi-comique de pénurie de vacataires dans les universités, puisqu’elle abolit le système incitatif qui permettait aux chômeur.se.s de trouver un travail, même de courte durée et sous-payé (comme une vacation en tant qu’ATV).

Sur d’autres terrains, la casse de l’Université accessible à tou.te.s avance comme prévu – doucement, mais sûrement – avec notamment l’écriture de l’avant-projet d’arrêté qui doit donner vie au « contrat doctoral de droit privé » prévu par la LPR, le non-respect des promesses de revalorisation des contrats doctoraux,  la décrue année après année des postes de MCF ouverts au concours (un peu plus de 25 en 2021 pour la sociologie et la science politique), l’individualisation des primes pour les enseignant.e.s chercheur.e.s via le nouveau  régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC), la suppression de la qualification par le CNU.

On ne le répétera jamais assez : notre précarité n’est pas un accident ! Elle n’est pas un phénomène touchant une minorité située en marge de formes majoritaires d’emplois stables et pérennes. C’est au contraire par elle que tiennent encore les murs de l’Université, et pour cela, les précaires de l’ESR méritent bien plus que la considération et le soutien de l’ensemble de leurs collègues. Et même là, nous remarquons depuis plusieurs mois la progression d’offres d’emplois – des vacations d’enseignement notamment – toujours plus nombreuses et imprécises quant aux conditions de travail des personnes recrutées. Les membres du bureau profitent donc de ces « vœux » pour rappeler aux abonné.e.s que l’Association nationale des candidat.e.s aux métiers de la science politique (ANCMSP) n’est pas – comme son nom l’indique – qu’une simple liste de diffusion à leur disposition, mais une association engagée de longue date dans la défense des droits des chercheur.se.s non-titulaires de l’ESR. À ce titre, l’usage des outils qu’elle offre aux représentant.e.s de nos disciplines devrait s’assortir d’une adhésion aux combats qu’elle mène et du minimum de décence professionnelle nécessaire pour produire des offres d’emploi complètes et transparentes et veiller à ne plus émettre d’annonces « pourries », quand elles ne sont pas tout simplement illégales. L’association invite par conséquent chacun.e à mobiliser la grille définissant nos standards de recrutement en vacations ; à défaut de neutraliser tous les préjudices liés au statut de vacataire, les recruteur.e.s éviteront ainsi de contribuer personnellement à la précarité de leurs collègues. 

En matière de précarité justement, les élections à venir n’offrent que peu de perspectives positives. Les candidat.e.s de droite les mieux positionné.e.s ont  déjà fait la preuve de leur capacité à saborder notre outil de travail. En témoigne la récente intervention du candidat Macron qui, devant la conférence des président.e.s d’Université, se désole que l’enseignement supérieur n’ait pour les étudiant.e.s « aucun prix ». « Aucun prix » si ce n’est celui qu’implique le fait de vivre sous le seuil de pauvreté, dans des logements exigus, en proie à un quotidien qui les conduit très concrètement à devoir choisir entre se nourrir, se vêtir, ou se soigner ! « Aucun prix » si ce n’est celui des frais d’inscription, augmentés pour les étudiant.e.s étranger.e.s extra-communautaires à la faveur d’une loi portant si mal son nom (« Bienvenue en France »). Passées les quelques « sorties » présidentielles, nous sommes sidéré.e.s par la vacuité programmatique sur l’Université des candidat.e.s à la présidentielle, et en particulier sur la question de la précarité dans l’ESR. Les maigres fragments de programmes concernant l’ESR visent principalement les étudiant.e.s et les enseignant.e.s-chercheur.se.s titulaires, laissant pour lettre morte l’immense majorité de jeunes chercheur.se.s qui s’épuisent à faire tenir les formations et à être les petites mains des « projets d’excellence ». Autant se le dire : on n’est pas sorti.e.s du sable ! 

Alors que faire ? L’ANCMSP s’engage durant la période électorale prochaine à tenir avec ses allié.e.s les positions qu’elle défend depuis sa création. Nous invitons également les groupes locaux à se (re)mobiliser ou à reprendre les activités en vue d’actions collectives. Enfin, nous proposons un ensemble de mesures qui pourrait constituer la base d’un mouvement véritablement revendicatif pour les chercheur⋅se⋅s non-titulaires

Récapitulatif des mesures

Mesures d’urgence (“pansements sur jambe de bois”)

  • Supprimer le statut d’Attaché.e Temporaire Vacataire (ATV).
  • Recruter les Chargé.e.s d’enseignement vacataires (CEV) effectuant plus de 64 Heures Équivalents TD (HETD) par an en contrat LRU.
  • Faire appliquer la Décision du Conseil d’Etat n°420567 sur la prise en charge à 25% ou 50% des frais de transport des enseignant.e.s vacataires (Décision du 7 février 2020).
  • Réévaluer le tarif de la vacation. Actuellement fixée à 41,41 euros pour 1 HETD, elle ne correspond même pas au SMIC horaire,  qui serait de 43,34 euros pour 1 HETD. Un bon début serait donc de doubler ce taux dans l’attente d’un contrat non précarisant. 
  • Mettre fin au travail gratuit des doctorant.e.s et des docteur.e.s à l’université  (surveillance des examens, correction des copies non rémunérées, etc.).
  • Supprimer les frais d’inscription en doctorat et la Contribution de Vie Étudiante et de Campus (CVEC) pour les doctorant.e.s.

Mesures de fond (“pour en finir avec la précarité des doctorant.e.s/docteur.e.s”)

  • Réévaluer la rémunération du contrat doctoral (alignement sur la rémunération CIFRE).
  • Augmenter la durée du contrat doctoral d’un an (pour un total de 4 ans).
  • Augmenter le nombre de financements doctoraux (contrats ministériels, éducation nationale, CIFRE, CNRS, ANR, etc.) afin que chaque doctorant.e soit financé.e pour ses recherches.
  • Augmenter le nombre de contrats d’Attaché.e Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER).
  • Réduire de moitié le nombre d’heures enseignées dans le cadre d’un ATER.
  • Supprimer les heures complémentaires.
  • Créer un statut de post-doctorant.e : augmentation de la durée minimale des contrats post-doctoraux ; revalorisation des grilles salariales ; sanctuarisation d’un temps dédié à la recherche propre de la personne sous contrat
  • En finir avec le gel des postes au concours et rattraper les années passées (CNRS + MCF).