Vous trouverez ici le discours de Valérie Pécresse prononcé le 9 juillet 2007 lors de l’ouverture du chantier « Jeunes Chercheurs ». Pour voir une vidéo du discours, cliquez ici.
Intervention de Valérie Pécresse
Ouverture du chantier « jeunes chercheurs »
Lundi 9 juillet 2007
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je suis heureuse de vous retrouver aujourd’hui. De retrouver certains visages qui sont devenus familiers. Au terme d’une concertation intense, nous sommes parvenus à dessiner ensemble le visage d’une université autonome, responsable, souple et réactive. Nous avons posé ensemble le socle de la réforme. Sur ce socle, nous allons construire l’université de demain. Aujourd’hui, nous ouvrons un nouveau chantier consacré aux jeunes chercheurs.
Nous aborderons les uns après les autres tous les aspects de leur formation et de leur insertion. Dès que nous aurons dégagé des solutions, dès que les moyens seront disponibles, nous mettrons ces solutions en œuvre. Mais pour urgente qu’elle soit, la réforme du statut des jeunes chercheurs a vocation à s’inscrire dans la durée. Nous engageons un travail de longue haleine. Vers ces questions complexes, je vous propose d’avancer avec une idée simple : nous devrons penser la recherche à travers le regard du jeune chercheur d’aujourd’hui.
Mais qui est ce jeune chercheur ? J’aime la définition qu’en donne George Steiner, celle « d’un jeune homme ou d’une jeune femme qui a été exposée au virus de l’absolu, qui a vu, entendu, « flairé » la fièvre chez ceux qui traquent la vérité désintéressée ».
Faire de la recherche, c’est faire un choix sans concession, celui de la vérité et de la raison. Mais c’est tout sauf un choix de raison. C’est le choix de la passion. C’est le choix de vivre sa passion. De sa passion pour un sujet de prédilection.
Mais poursuivre des recherches, c’est aussi répondre à une vocation, à un appel sans cesse renouvelé à repousser les frontières du savoir. C’est soumettre son existence à l’exigence de la création. Chercher pour trouver. Trouver pour exister.
I. Assurer aux jeunes chercheurs les conditions de l’indépendance et l’accompagnement nécessaire
La recherche, c’est d’abord une passion. Par-delà la diversité des disciplines, il est une passion qui habite tout jeune chercheur : la passion de la vérité. Il y investit tout son temps, toute son énergie, tout son enthousiasme.
Notre mission, c’est d’assurer son indépendance à l’égard des contingences matérielles. La maturation d’un travail de recherche exige une grande concentration et une vraie disponibilité d’esprit. Le jeune chercheur doit être suffisamment détaché des contraintes quotidiennes pour pouvoir apporter à son travail une âme libre. Cette mission, nous la remplissons imparfaitement. Vous connaissez mieux que quiconque les incertitudes et les frustrations qui sont le lot commun de nos jeunes chercheurs.
Si la recherche va de pair avec l’humilité intellectuelle et le désintéressement, le doctorat ne doit pas pour autant être une période de sacrifice et de dénuement. Aujourd’hui, les conditions d’accueil des doctorants ne sont pas satisfaisantes. Rares sont ceux qui disposent d’un bureau. Les allocations suffisent tout juste à vivre et à payer les frais nécessaires pour conduire ces recherches. Quand on pense au niveau de qualification de nos jeunes chercheurs, leur sort n’est pas à la hauteur du rayonnement intellectuel dont notre pays se réclame. La richesse intellectuelle ne saurait rimer avec la pauvreté matérielle.
La rémunération de nos jeunes chercheurs reste notoirement insuffisante. Nous ne pouvons pas insulter plus longtemps l’avenir en tournant le dos à ceux qui le construisent et qui l’inventent. Un progrès significatif doit être rapidement fait. Pendant la campagne, le Président de la République a pris l’engagement de revaloriser les allocations de recherche. Cet engagement sera tenu dès la rentrée.
La protection des jeunes chercheurs français et étrangers implique également que nous renoncions au financement des thèses par des libéralités. Les jeunes chercheurs doivent bénéficier d’une couverture sociale complète. C’est pourquoi, en collaboration avec les associations et les ministères intéressés, dont je salue la présence parmi nous, nous prolongerons les efforts déjà entrepris en vue de leur résorption.
Un autre point est essentiel : l’accès aux bibliothèques. Il ne saurait y avoir de grande recherche sans grandes bibliothèques. Les livres sont la nourriture intellectuelle des jeunes chercheurs. Aujourd’hui, la difficulté d’accès aux bibliothèques perturbe leur travail. Pour y remédier, le Président de la République souhaite que les bibliothèques universitaires ouvrent sept jours par semaine et que les horaires soient étendus : vous savez que le projet de loi sur l’autonomie permettra le recrutement d’étudiants. C’est là une illustration de la souplesse nouvelle apportée par la réforme de nos universités. Un socle. Des chantiers. La réforme de notre université et de notre recherche est en marche.
Mais les relations intellectuelles et personnelles du doctorant avec son directeur de thèse importent tout autant que ses conditions matérielles de travail. Fernand Braudel n’a-t-il pas écrit sa thèse sur la Méditerranée à l’époque de Philippe II alors qu’il était en captivité en Allemagne !
Nous devons veiller au bon encadrement de nos jeunes chercheurs. La solitude est leur quotidien. Solitude physique de celui qui ne partage que de rares moments avec ses pairs au cours de séminaires. Solitude intellectuelle de celui qui s’aventure sur des chemins nouveaux. Je ne veux pas qu’à cette salutaire mise en danger intellectuelle s’ajoute le poids d’un déficit d’encadrement. Pour suivre avec attention l’avancement de leurs travaux, le directeur doit se limiter à un nombre restreint de doctorants. Des rencontres régulières doivent nourrir leurs réflexions : c’est en frottant son cerveau à celui de son directeur que le doctorant affermit son argumentation et dégage des orientations nouvelles.
Les jeunes chercheurs méritent toute notre reconnaissance. Ils peuvent revendiquer avec fierté leur contribution au progrès scientifique. Je veux que nous diffusions le plus largement possible les avancées de leurs travaux. Pour redonner une place centrale à la recherche. Pour irriguer notre société et notre économie de ces nouveaux savoirs. La publication des thèses est une consécration. Mais la publication d’articles est un moyen plus sûr encore de valoriser son travail. Je pense à Pierre-Gilles de Gennes qui savait mettre à l’honneur le travail de ses jeunes collaborateurs en cosignant des articles. C’est l’occasion pour le jeune chercheur de se faire connaître en se livrant à un utile exercice de synthèse de ses travaux. C’est aussi l’occasion de vulgariser ses découvertes et de nouer le dialogue avec un public élargi.
La diffusion du savoir est un devoir et un plaisir. Le savoir est le seul bien qui puisse être partagé par tous sans priver personne et faire naître la joie entre ceux qui le partagent. C’est le seul bien dont l’accumulation n’est pas source de lassitude mais d’un plaisir croissant. Pour toutes ces raisons, l’enseignement est une tâche centrale pour le jeune chercheur. Il se trouve cependant confronté à des impératifs contradictoires. Il lui faut concilier ses recherches avec une charge d’enseignement souvent importante. A un âge où il souhaiterait parfois se consacrer pleinement à la recherche. A une période où sa fécondité intellectuelle est la plus grande. Pour répondre à son désir de s’investir davantage dans la recherche, les universités autonomes auront demain la possibilité d’aménager sa charge d’enseignement.
II. Mieux reconnaître les mérites de nos jeunes chercheurs pour leur ouvrir de nouveaux horizons
La recherche, c’est une quête inlassable de la vérité. C’est aussi un exercice continu de la liberté. De la liberté de penser et de bousculer les conformismes. De la liberté de s’aventurer sur des chemins qui n’ont jamais été empruntés. C’est un effort tendu de la volonté. Ce n’est pas un repli frileux hors du monde. C’est au contraire un détour pour mieux comprendre notre monde, une prise de recul pour porter un regard neuf sur des pans du réel jusqu’ici méconnus.
La recherche n’est pas davantage un exercice confortable ou complaisant. Elle oblige à se confronter à une compétition internationale d’une très grande âpreté. Les jeunes chercheurs se livrent une compétition féroce pour faire connaître leur nom et leurs travaux.
Dans un monde où la bataille de l’intelligence fait rage, nous avons le devoir d’attirer les meilleurs étudiants vers les métiers de l’innovation et de la création. De les attirer et de les retenir : la fuite des cerveaux provoque une inquiétante hémorragie : 40 % des économistes français de rang mondial se sont expatriés aux Etats-Unis. Dans une société où les évolutions démographiques appellent un renouvellement du vivier des nos chercheurs, notre responsabilité est aussi de former un nombre croissant de jeunes chercheurs.
Paradoxalement, les qualités d’un jeune chercheur sont souvent ignorées quand elles ne sont pas dénigrées. Alors qu’il est reconnu comme un diplôme d’excellence partout à travers le monde, le doctorat souffre en France d’une image négative. La représentation commune du doctorant reste souvent celle d’un éternel étudiant. Cette réticence supposée à entrer dans la vie active dissuade les employeurs de recourir à leurs services. Le doctorat est trop souvent perçu comme un signal de déqualification. Face à cette aberration, le défi à relever est triple : améliorer son image, enrichir sa formation et élargir ses horizons.
Le premier défi, c’est d’améliorer l’image du jeune chercheur. C’est de valoriser l’expérience professionnelle acquise au cours de ses travaux de recherche. C’est faire savoir que les jeunes chercheurs sont riches de savoirs et de savoir-faire. Ils sont peut-être des apprentis, mais des apprentis munis d’une solide expérience professionnelle.
Ils se sont d’abord et avant tout imprégnés d’une méthode qui est une éthique. Leur travail repose sur une démarche patiente et rigoureuse. Lire et observer, d’abord. Puis formuler ses hypothèses et sa thèse, avant de soumettre ses conclusions à l’épreuve des faits et à la critique de ses pairs. Ces conclusions ne résistent qu’aussi longtemps qu’aucun texte ou ni aucune expérience ne vient les infirmer. Il n’y a rien là que de très banal. Mais la singularité de la démarche scientifique tient à ce que la contradiction est à l’œuvre à l’intérieur même du travail de recherche. L’acceptation de cet état d’insécurité – qui est aussi un état d’anxiété – est la condition de la solidité de la thèse soutenue. La seule arme du jeune chercheur est son honnêteté intellectuelle. Plus encore qu’une exigence scientifique, cette rigueur est une vertu morale et une qualité professionnelle inestimable.
Il est tout aussi fondamental de souligner le sens de l’initiative, la créativité et l’imagination que les jeunes chercheurs développent. Il faut encore signaler la discipline à laquelle ils s’astreignent et l’organisation qu’ils doivent respecter dans leur travail. Autant de qualités qui font la noblesse du métier de chercheur. Autant de compétences acquises qui doivent pouvoir trouver à s’employer dans l’administration ou dans l’entreprise.
Notre second défi, c’est d’enrichir la formation du jeune chercheur. En complément des compétences et des qualités inhérentes à la formation doctorale, je pense que des progrès restent à accomplir pour renforcer le professionnalisme de nos jeunes docteurs.
Sans doute gagneraient-ils parfois à s’armer de savoirs transversaux leur permettant de s’adapter aux évolutions de leurs fonctions professionnelles et de comprendre les mutations de leur environnement. Nous pourrions inculquer des bases en informatique aux littéraires ou des rudiments en économie aux scientifiques. L’ambition d’un savoir pluridisciplinaire doit d’abord être portée par la nouvelle génération de chercheurs.
Sans doute serait-il également bénéfique de multiplier les expériences de mobilité nationale ou internationale au début d’une carrière de chercheur. Si la science n’a jamais eu de frontières, les jeunes chercheurs doivent aujourd’hui plus que jamais satisfaire aux exigences de la mondialisation : être mobiles physiquement et être mobiles intellectuellement. Etre ouverts à l’étranger, aller à sa rencontre, connaître sa langue. Je souhaite renforcer la place des langues dans les cursus universitaires. La maîtrise des langues, c’est un accès à des nouveaux outils de recherche, c’est la chance d’échanges personnels avec ses collègues étrangers et c’est l’opportunité de publier dans des revues internationales.
Le troisième défi que nous aurons à relever ensemble, c’est l’ouverture de nouveaux horizons aux jeunes chercheurs. Trop souvent, ils n’imaginent pas leur avenir en dehors du système académique de recherche. Pourtant, seul un poste de maître de conférences est ouvert pour quatre docteurs. La diversification des débouchés est une incontournable nécessité.
C’est en promouvant les relations avec l’entreprise et l’administration que nous assurerons la reconnaissance de la valeur du doctorat par tous les employeurs.
Le meilleur moyen de créer des passerelles entre l’entreprise et la recherche, c’est de promouvoir le financement de bourses doctorales par les entreprises. Le sujet de la thèse pourrait également offrir l’occasion aux jeunes chercheurs d’effectuer des missions de conseil auprès d’une entreprise ou d’une administration alors même qu’ils resteraient rattachés à leur laboratoire ou à leur université. Ce serait le moyen de mettre en application leurs travaux de recherche, d’enrichir leur formation et de préparer la suite de leur carrière. Nous devons inciter les entreprises à faire plus souvent appel aux doctorants et aux docteurs. Il ne s’agit là ni un mélange des genres ni d’une marchandisation de la recherche mais d’une complémentarité à cultiver et d’un brassage des cultures à entretenir.
Au-delà du salariat dans les secteurs public ou privé, les jeunes chercheurs les plus innovants sont désireux de créer leur propre entreprise. Pour encourager la prise de risque et l’innovation, nous allons favoriser la création d’incubateurs d’entreprise dans les universités et de zones franches universitaires pour permettre aux jeunes chercheurs de créer leur entreprise sur leurs campus.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Vous aurez compris que je souhaite placer les jeunes chercheurs au croisement de la réforme de l’université et de la réforme de la recherche, que je souhaite une réforme de fond au cours de laquelle nous aborderons tous les aspects du devenir des jeunes chercheurs.
Dans ce cadre, je tiens à vous faire part de deux informations. Le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, à qui je vous invite à transmettre vos contributions, se verra confier la rédaction d’un rapport sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui. Par ailleurs, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche publiera prochainement un rapport sur l’organisation des écoles doctorales et la mise en application du décret du 7 août 2006. Ces travaux éclaireront nos travaux dès la rentrée.
Je suis maintenant à votre écoute. A l’écoute de vos propositions. Vous serez les principaux acteurs de la réforme. Je vous propose de construire ensemble votre avenir, notre avenir.
Je vous remercie.