Tout commence au lycée, ou qui sait au collège, passionnée d’histoire, de géographie, d’économie, bref de sciences humaines, son intérêt pour les phénomènes de société et politiques s’affirment en classe de troisième alors qu’on y étudie la Révolution bolchévique. Le substrat syndical dans lequel, elle baigne depuis son enfance n’est pas étranger à cet intérêt pour les changements politiques. Le père est un délégué syndical CGT de longue date dans son usine de textile comme il y en avait encore dans les années 80 en Alsace.
Le baccalauréat en poche, c’est d’abord par un IUT au département de techniques de commercialisations qu’elle commence ses études supérieures et la rencontre avec un professeur de grande distribution qui est diplômé de l’IEP de Strasbourg et qui donne envie de faire de la science politique. Ce sera d’abord la faculté de droit de l’Université Robert Schuman à Strasbourg, trois années de la deuxième à la maîtrise et la préparation la même année d’une maîtrise de droit public et d’une maîtrise de science politique. Les sirènes de la science politique feront le reste : y officient, Jean-Bapstiste Legavre, Brigitte Gaïti, Johanna Siméant, Sylvie Gilet, Renaud Dorandeu, des enseignants-chercheurs jeunes, qui se nomment politistes, c’est cette nouvelle génération qui forme la promotion 1994-1996 de la maîtrise puis du DEA d’Etudes Politiques de l’IEP de Strasbourg .
Parallèlement aux études, un engagement en tant que secrétaire générale de l’UNEF-ID, syndicat étudiant de gauche. L’engagement ultérieur à l’ANCMSP sera considéré comme une suite logique à ce militantisme estudiantin.
Peux-tu nous raconter ton parcours ?
En 1995, un certain Jean-Marie Le Pen atteint les 20 % des suffrages en Alsace et la demande d’analyse de ce vote se fait ressentir au sein de la communauté des universitaires. Je vais donc travailler non pas sur les électeurs frontistes mais sur les jeunesses frontistes étudiantes du Renouveau Etudiant, syndicat affilié au Front national à l’époque. Ce mémoire de DEA s’avèrera une base de réflexion, prolongée dans la thèse de doctorat consacrée aux jeunesses frontistes. Durant six années, c’est en tant que surveillante d’externat, « pionne », que je finance ma thèse de doctorat. Je n’ai pas obtenu d’allocation, mais de temps à autre j’obtiens le remboursement de mes frais liés à mon terrain de recherche. J’ai également un petit complément de revenu durant deux-trois ans comme vacataire à la bibliothèque de recherches de l’IEP de Strasbourg, mon directeur de thèse, Renaud Dorandeu est également directeur de l’IEP. Chaque mois je vais à Paris pour suivre le séminaire du GERMM avec Nonna Mayer et Olivier Fillieulle, cette participation contribue beaucoup à ma socialisation aux centres de recherches parisiens et aux rencontres fructueuses, mon inscription académique est aussi liée à mes participations aux congrès de l’AFSP et autres colloques.
A l’été 1999, je donne pour la première fois des cours d’histoire dans le cadre d’une prépa intensive aux concours d’entrée dans les IEP, l’expérience dure 2 ans.
Somme toute, un parcours plutôt atypique, pas diplômée d’un IEP, IUT Techniques de Commercialisation, faculté de droit et enfin la science politique. Avec le recul, une expérience de doctorante stimulante car organisation d’un séminaire de lecture entre doctorants, présentation de nos travaux et organisation de colloques doctorants, le premier « discours savants, discours militants, mélanges des genres » au sein du GSPE en novembre 2000.
Fin 2002, soutenance de thèse portant sur l’engagement des jeunes au Front national, valorisation de cette thèse sous forme d’articles (le livre est en cours d’écriture), de nombreuses participations à des colloques. C’est également le début de la carrière d’enseignante-chercheuse avec un poste d’ATER, à l’Université de Haute Alsace, à la faculté de droit, gestion, éco à Mulhouse, toujours en Alsace. Entre 2002 et 2004, j’y enseigne diverses disciplines (cours d’introduction au droit, introduction à la sociologie, introduction à la science politique, culture générale, etc.). J’apprends à enseigner à un public pas forcément là pour faire de la science politique, mon expérience à cet égard est riche car je diversifie mon enseignement et ce à tous les niveaux (L1 au M2, professionnel, théorique…)
Recrutement
Parallèlement je continue à participer aux campagnes de recrutements de maîtres de conférences (j’obtiens en février 2003 ma double qualification en science politique et en sociologie, qualifications reconduites en 2007 et 2011), je suis régulièrement auditionnée, classée mais pas recrutée.
En février 2007, mon contrat à l’Université de Haute Alsace se termine, depuis 2004, en effet, l’Université me rémunère sur fonds propres, je dispose d’un contrat avec salaire mensualisé, congés payés, heures complémentaires aussi (et oui, dans les petites facultés de province tout le monde fait des heures complémentaires). Je commence en février 2007 un contrat de recherches à l’Université Robert Schuman de Strasbourg, j’enquête dans un quartier femmes de la maison d’arrêt de Strasbourg qui donnera lieu en 2008 à un rapport pour la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies), ce contrat se termine fin mai 2007 et mi-juin 2007 j’apprends mon recrutement à l’Université Galatasaray d’Istanbul pour la rentrée de septembre 2007. Je quitte les rives du Rhin pour retrouver celles du Bosphore où je suis toujours actuellement.
Que dire de ces expériences ? D’abord que c’est un long parcours du combattant qui nécessite de la part des candidats une certaine forme de ténacité, d’abnégation aussi, que les recrutements fonctionnent car on recrute en France de bons docteurs, de bons enseignants chercheurs mais que simplement depuis quelques années, le système souffre de la pénurie de postes proposés au concours, et que la gestion de la pénurie est objectivée. Qu’avant juin 2007, je n’avais pas pensé à quitter la France pour partir faire mon métier d’enseignante-chercheuse à l’étranger mais qu’aujourd’hui, cinq ans après ma venue à Istanbul, je me suis enrichie, mon regard s’est décalé, moins ethnocentique, ma manière d’enseigner également a évolué. Que les circonstances m’ont value d’être confirmée dans mes fonctions d’enseignante-chercheuse à Galatasaray. Mais que la recherche en Turquie subit d’autres formes de contraintes que celles qu’on connaît en France . Notamment que les libertés académiques font l’objet de restrictions, et que cela infère sur notre manière d’écrire des articles, de choisir un objet de recherche.
Ce que je peux dire aux jeunes docteurs, c’est que l’expatriation a du bon sur le plan personnel car on s’enrichit de la différence. Mais que si l’on souhaite revenir en France, il faut constamment ne pas se faire oublier des collègues français, maintenir les liens, continuer des coopérations scientifiques.
Sais-tu pourquoi tu n’as pas été recrutée ?
Très bonne question, en effet ! J’ai bien ma petite idée mais en même temps je vais essayer de répondre de manière distanciée : chaque recrutement est une configuration (au sens d’Elias) où se jouent des rapports de forces locaux et où au sein du comité de sélection interviennent des raisons qui échappent à des logiques strictes de qualité scientifique des dossiers des candidats. Quand on recrute un maître de conférences, on recrute un collègue pour plusieurs années voire décennies, donc of course qu’on veut le meilleur sur le papier mais on ne veut pas prendre trop de risques. Donc on prend un très bon candidat (c’est somme toute le cas) qui correspondra aussi aux attentes de l’institution qui recrute. Peut-être que je suis parfois apparue aux yeux de mes recruteurs comme une candidate « outsider » à tout le moins comme un électron libre. Mais je le prends pour un compliment en ce qui me concerne.
Mais n’oublions pas l’essentiel : nos collègues qui recrutent gèrent la pénurie des postes c’est une donnée majeure à ne pas écarter et ça évite de conjecturer à l’infini.
T’a-t-on donné des raisons ?
Oui, on donne des raisons, on objective, du genre, « ça a été difficile de départager », ou encore « tu as des publications en nombre mais où est la publication de la thèse? » Je crois que c’est l’argument majeur, et sur les derniers concours, l’âge joue aussi contre moi (bientôt 40 ans), il faut songer à passer une HDR et présenter des candidatures au rang de professeur des Universités, car l’agrégation c’est une autre histoire… il faut un ethos d’agrégatif que visiblement je ne possède pas…
Quelles sont les conditions pour être recrutée en Turquie ?
Pour la Turquie, je précise mon statut. En 2007, j’ai été recrutée par la MICEL (Mission de Coopération Educative et Linguistique) un Etablissement à Autonomie Financière qui dépend de l’Ambassade de France à Ankara et donc du Ministère des Affaires Etrangères français. Je suis donc en mission de coopération. A la base mon contrat était d’un an renouvelable. A force de renouveler, on a atteint la barre fatidique des 5 ans révolus et de facto, le contrat devient à durée indéterminée.
Pour la petite histoire, il était prévu qu’en août 2012 je plie bagage et rentre en France mais une action collective des salariés de la MICEL et une négociation avec les services du Ministère ont permis de trouver un consensus à savoir CDI-ser les quelques personnes de la MICEL, on était peu nombreux et ça a joué en notre faveur, depuis les nouveaux contrats de 2 ans ne sont renouvelables qu’une seule fois, RGPP oblige.
Donc pour résumer, je travaille dans une Université publique turque, au sein du département de Science Politique, j’ai un statut d’enseignant-chercheur en science politique (donc équivalent un poste de maître de conférences) et je dépends administrativement du MAE français, avec un contrat de droit public français, payée en euros, cotisant aux caisses de retraite française (IRCANTEC) en tant qu’agent non titulaire de la fonction publique
Bien évidemment il existe d’autres opportunités de recrutement en contrat local, mais il faut être parfaitement turcophone, c’est souvent dans des Universités privées, ou instituts privés pour être bien payé car dans les Universités publiques turques, un équivalent maître de conférences ne touche pas plus de 850 euros par mois.
Tu parles de « contrat sur fond propre » : quelles en sont les modalités ?
Le contrat sur budget propre de l’Université en France, renvoie au fait que l’université dispose de lignes budgétaires par exemple pour recruter des PRAG mais qui selon les années ne sont pas affectées, ils peuvent redéployer ces lignes sous forme de vacations ou bien rémunérer sur cette ligne budgétaire un enseignant. En l’espèce, j’avais négocié un contrat à mi-temps PRAG (c’est-à-dire clairement avec une charge de cours 192 heures ETD annuelle, comme un ATER à temps plein, à un échelon maximal ce qui me faisait retomber grosso modo sur la paie d’un ATER à temps plein). Et sur une année c’est effectivement sur le budget direct de l’Université que mon salaire a été payé (sur quelle ligne budgétaire exactement je ne saurais le dire).
Engagement à l’ANCMSP
Entre 1997 et 2006 je milite à l’ANCMSP, quand j’y entre c’est Marion Paoletti qui préside l’association, dans le bureau, Arnaud Mercier, Jean-Pierre Masse, Eric Schultz, Claude Dargent, Isabelle Sommier, etc. J’y suis quasi sans discontinuer (sauf durant la rédaction de la thèse en 2002), et je reviens en 2004 pour présider avec Vincent Nguyen l’association. On est en pleine mobilisation « Sauvons la Recherche » en 2004, donc bien occupés à rédiger des motions, etc.
L’ANCMSP est un formidable lieu d’observation des transformations de la discipline, de ses rapports de force entre entrants et titulaires, de son institutionnalisation (chaotique parfois) liée à l’investissement de ses membres du bureau à la CJC notamment (cf. Pierre Mayance, Elise Cruzel…) son ouverture donc sur les questions plus larges que celles intéressant la science po stricto sensu : question de la valorisation du doctorat (inscription dans les conventions collectives nécessaire à terme), transparence des recrutements (dont on voit que la LRU rend plus opaque ces derniers), charte des recrutements. On est parti de l’initiative d’une bande de copains plutôt parisiens en 1995/96 à une assoc plus ou moins institutionnalisée dont la liste de diffusion s’est imposée comme liste de la discipline dans les faits.
L’expérience au sein de l’ANCMSP a servi aussi à faire avancer des réflexions collectives (salon des thèses format différent désormais), à travailler avec les titulaires, à les rendre attentifs à nos contraintes (on a appris à connaître les leurs), on aimerait encore évidemment plus de prise en considération des tensions du marché de l’emploi pour les docteurs, qu’on prenne à bras le corps la question de la précarisation qui se généralise, mais l’ANCMSP doit marcher avec l’AFSP, avec l’AECSP et sortir aussi de la seule démarche « corporative » (propre à la filière sc po) pour travailler avec les syndicats (SNESUP et autres bien sûr via les représentants du CNU) et avec la CJC car au fond l’avenir de la science po se joue au niveau certes des politiques publiques de l’enseignement supérieur mais plus que jamais au niveau local. Chaque maître de conf se bat dans sa fac pour avoir des cours, pour demander la création d’un poste pour avoir un collègue. Au fond l’enjeu pour notre discipline est de montrer son utilité sociale pour légitimer sa raison d’être et son développement à l’heure où les savoirs-techniques ont le vent en poupe contre des savoirs considérés comme purement académiques.
Ma vision du militantisme ne s’est pas seulement modifiée au contact de l’ANCMSP, il me semble que le militantisme au quotidien, dans notre métier d’enseignant est aussi une dimension importante de notre engagement, dire à nos étudiants qui nous sommes (par exemple, les étudiants sont parfois persuadés que nous sommes tous des profs titulaires, et bien de leur expliquer qu’en réalité l’université repose sur le travail des précaires, ça les conscientise). Notre « milieu », est un microcosme, en quelque sorte familial (la communauté de politistes en France rassemble quelques 2000 enseignants-chercheurs et chercheurs dans les différents instituts de recherche), alors en complément des logiques institutionnelles qui semblent désincarner les individus, il faut en réalité prendre au sérieux les relations interpersonnelles qui sont efficientes.
Pour conclure sur l’ANCSMP, cette association est nécessaire pour la communauté des politistes, sa liste de diffusion constitue le meilleur moyen de se rendre compte des débats de la discipline, surtout quand on est à l’étranger.
Tu as dû sûrement acquérir un savoir (des trucs et astuces) durant ton parcours pour savoir comment aller chercher les financements ?
Pour les financements deux choses,
1) l’enseignement : le plus important est de disposer d’un contrat principal (on dira alimentaire) ça ouvre des portes pour faire des vacations (et Dieu sait que là on peut faire des heures à gogo). Je connaissais une intervenante extérieure qui faisait de la compta dans une boîte et qui à l’université explosait les plafonnements d’heures de vacations sur dérogation du président de l’université, elle faisait autour de 400 heures par an de vacations et touchait presque 20 000 euros en vacations. De mon côté, je faisais des heures au SERFA (formation pour adultes) et d’autres organismes ce qui explique aussi qu’on devient des professionnels de cours. Il faut une sacrée dose d’énergie de volonté pour poursuivre la recherche dans ces conditions.
2) pour la recherche : répondre aux appels d’offre et toujours utiliser les ressources institutionnelles (c’est-à-dire demander à un collègue maître de conf de « parrainer » le projet, de s’engager à l’encadrer mais de laisser les financements pour payer un contrat de post doc), ça marche dans des relations de confiance.
Autres débouchés, les centres de gestion des collectivités territoriales, ils sont demandeurs de correcteurs, de membres de jury pour les concours de la FPT (fonction publique territoriale) là aussi il faut toujours disposer du sésame, un contrat principal où sont payées les cotisations.