Le 9 mai dernier, messieurs les députés Berta (MODEM), Henriet (LREM), Eliaou (LREM) ont déposé un amendement, dans le cadre de l’étude du projet de loi de « Transformation de la fonction publique » visant à « permettre aux universités de déroger à la procédure de qualification pour recruter directement leurs enseignants-chercheurs ».
La procédure de qualification est critiquable à de très nombreux égards : en l’état, elle participe à une dévalorisation du doctorat, en jugeant du caractère suffisamment scientifique ou non d’une recherche doctorale en vue de l’employabilité du-de la docteur·e comme maître·sse de conférences, mettant ainsi à mal l’unicité de la valeur du diplôme. En théorie, juger de la qualité d’un doctorat devrait revenir aux écoles doctorales et au jury de soutenance (c’est-à-dire les employeurs), et non pas au CNU. Une thèse soutenue devrait être un critère suffisant d’employabilité sur les marchés du travail académique. Dans un contexte de pénurie de postes, le filtre de la qualification participe d’une invisibilisation de l’état de tension des marchés du travail académique, et dévalorise la recherche doctorale d’un nombre considérable de docteur·e·s non qualifié·e·s. Il est également possible de douter de l’objectivité, de la neutralité et de la transparence des procédures de qualification, a fortiori en l’absence de jeunes chercheur·se·s-observateur·rice·s au sein des commissions, suivant le principe de recrutement par les pair·e·s, mesure qui permettrait de garantir une certaine transparence à l’égard du corps constitué par les candidat·e·s, auquel elles et ils appartiennent eux-mêmes.
Cependant, si la procédure de qualification est en l’état insatisfaisante, le CNU est la seule instance de régulation au niveau national des recrutements de maître·sse·s de conférences. L’amendement de messieurs les députés Berta, Henriet et Eliaou ne vise en aucun cas à modifier la procédure de qualification pour mettre en place une procédure qui donnerait un caractère davantage national et plus transparent aux recrutements à l’université. Il vise à renforcer plus encore le pouvoir, déjà pourtant très conséquent, des universités dans leurs politiques de recrutement. C’est-à-dire renforcer l’opacité des recrutements de MCF, le localisme, les auditions qui ne trompent personne (sauf les candidat·e·s perdant·e·s) et les recrutements joués d’avance, pratiques honteuses face auxquelles l’ANCMSP a été créée pour s’y opposer fermement il y a 25 ans.
L’ANCMSP appelle ainsi l’ensemble de la communauté universitaire à exprimer son désaccord contre cette disposition qui, bien que présentée comme « expérimentale », ne fera qu’ajouter aux effets pervers de l’autonomie des universités dans leurs procédures de recrutement, au détriment de l’égalité des candidat·e·s face au concours. Si l’amendement a depuis été retiré à la demande du gouvernement, et suite à la mobilisation de la CP-CNU, Frédérique Vidal dit vouloir ouvrir une “concertation” à ce propos. La disposition est donc bel et bien à l’agenda gouvernemental.
Enfin nous suggérons à Messieurs Berta, Henriet, Eliaou, plutôt que de s’atteler à renforcer l’autonomie des universités et le pouvoir de ses gestionnaires, à s’attaquer aux vrais problèmes qui touchent l’enseignement supérieur : la pénurie de postes de MCF pourtant nécessaires pour assurer les missions d’enseignement; le sous-encadrement; la précarité économique et statutaire des jeunes chercheur·se·s, des personnels administratifs et des étudiant·e·s; et enfin la fermeture de l’accès au service public universitaire à travers la hausse discriminatoire des frais et Parcoursup.
Nous espérons que cette attaque violente vis-à-vis du principe de recrutement par les pair·e·s à l’université sera suivie d’une mobilisation d’ampleur de la part de notre communauté, prenant en compte l’ensemble des attaques que subit le service public universitaire qui nous est cher.