Sur les vacations, la rétention des notes et la grève des examens

La question des enseignant.e.s vacataires dans l’enseignement supérieur a fait une surprenante irruption dans le débat public à l’occasion des mobilisations contre la loi ORE. Suffisamment rare pour être soulignée, cette sollicitude invite pourtant à rappeler certains faits et à insister sur les moyens d’action des personnels précaires, notamment la rétention des notes et la grève des examens.

Notre ministre Mme Frédérique Vidal s’est découvert récemment un intérêt pour les vacataires : elle explique que les blocages empêchent qu’ils et elles soient payé.e.s (1). Il n’aura échappé à personne que, hors contexte de mobilisation, la situation des vacataires pose de graves problèmes, que le gouvernement n’a rien amorcé pour les résoudre, et que Mme Vidal a pour fait d’armes d’avoir fait exploser le recours aux vacations durant son mandat de présidente de l’Université de Nice. Cette instrumentalisation grossière est imitée par certains collègues, qui justifient leur opposition au mouvement au nom des intérêts des précaires, alors qu’ils sont d’habitude totalement indifférent.e.s sinon hostiles à leurs revendications légitimes.

Au-delà de ces larmes de crocodile, la situation actuelle soulève des questions sérieuses. Chacun.e sait que l’université fonctionne pour une large part sur la base du travail gratuit ou honteusement sous payé de ses enseignant.e.s vacataires. La mise en œuvre des réformes (si elle s’effectue) va demander un surcroît de travail important. Sachant que les postes de titulaires (mais aussi les postes d’ATER, les missions d’enseignement, etc.) sont en diminution, et que les budgets ne sont pas en hausse, elle ne pourra se faire que par un recours encore accru aux vacations. Autrement dit celles et ceux qui défendent la réforme comptent implicitement sur de nouveaux bataillons de l’armée des précaires et s’accommodent donc parfaitement de la précarisation de leurs subalternes.

Rappelons quelques éléments factuels sur les conditions d’emploi, de travail et de vie des vacataires. La galère du vacataire, c’est se heurter à l’indifférence de ses supérieur.e.s hiérarchiques, dont la position leur confère un droit de vie ou de mort sur la poursuite d’enseignements payés, rappelons sans répit, bien en-dessous SMIC (2). Pire, nombre de vacataires délivrant des TDs se voient également convoqué.e.s aux surveillances et contraint.e.s à la correction de copies d’examens des cours magistraux « rattachés » à leurs TDs et effectuent donc un certain nombre d’heures supplémentaires non payées. Cette pratique très courante est justifiée, voir considérée comme allant de soi, par une lecture spécieuse du décret n° 87-889 du 29 octobre 1987 relatif aux conditions de recrutement et d’emploi de vacataires pour l’enseignement supérieur (3). Le flou de la formulation de ce texte permet à un grand nombre de chargé.e.s de CM de voir en leurs vacataires des agents corvéables à merci. Enfin, rappelons que les vacataires signent souvent leur contrat après avoir commencé à travailler, et ne touchent leur misère que plusieurs mois après la réalisation complète de leur service. Si la circulaire Mandon de 2017, obtenue après des mobilisations de précaires, recommande la mensualisation du paiement des vacations, elle est non contraignante, et très loin d’être appliquée.

La condition des vacataires nous concerne tou.te.s, car il s’agit de la plus mauvaise situation contractuelle qui existe actuellement dans l’enseignement supérieur. Elle est loin d’être marginale : les vacataires qui enseignent plus de 96 heures annuelles représentent environ 10% des personnels enseignants (4). De façon inquiétante, ces dernières années, les autres contrats tendent à s’aligner sur le niveau des vacations : par exemple, les missions d’enseignement pour les contrats doctoraux sont depuis 2016 payées au tarif des vacations, et les contrats d’enseignement avec des salaires dérisoires au regard du travail demandé se multiplient, au point que des universités comme celle de La Rochelle embauchent désormais uniquement en CDD. Les réformes en cours vont dans le sens de cette aggravation : la sélection va accroître la concurrence entre les universités et donc leur hiérarchisation. La bipolarisation de l’enseignement supérieur entre des établissements d’« excellence » et des « universités de licences » va de pair avec la destruction des métiers et des statuts nationaux de l’ESR.

En effet, la loi ORE n’est pas la seule transformation en cours de l’ESR. Le PIA 3 (3e Programme d’investissements d’avenir) lancé en février 2017 reconfigure l’organisation du système universitaire (5). Ces dispositifs renforcent les logiques de différenciation entre établissements, alourdissent encore leurs contraintes financières et les incitent à développer des ressources propres, autrement dit les incitent à la hausse des frais d’inscription à l’université (6) et la remise en cause du statut des enseignant.e.s-chercheur.e.s (7). Se mobiliser maintenant, à la fois pour les étudiant.e.s et pour les personnels enseignants les plus vulnérables, est donc nécessaire pour s’opposer à ces logiques – après, il sera peut-être trop tard.

L’ANCMSP appelle les personnels enseignants non-permanents et vacataires à prendre toute leur place dans la mobilisation contre la loi ORE et le « Plan Étudiants » aux côtés des étudiant.e.s et personnels titulaires mobilisé.e.s.

Nous rappelons à l’ensemble des collègues, personnels enseignants ou administratifs, que pour faire entendre leurs revendications, la rétention des notes et la grève des examens sont des moyens d’action à leur disposition, qui ne contreviennent aucunement à leurs obligations (8).

Nous appelons également les collègues bénéficiant de situations plus stables à soutenir et protéger les vacataires dans leur établissement, notamment en se mobilisant publiquement pour que l’ensemble des vacataires soient rémunéré.e.s même les jours de blocage, et que leurs engagements éventuels ne conduisent pas à leur non-renouvellement. Les plateformes de revendication qui émergent au sein des comités de mobilisation locaux se doivent de prendre en compte les problématiques des personnels vacataires et contractuel.le.s, également très nombreux du côté du personnel administratif.

(1) Lors de son interview dans l’émission Les 4 Vérités, le 4 avril 2018, elle a justifié sa décision de dissoudre les conseils centraux de l’Université Toulouse 2 notamment par le fait que « les vacataires n’étaient plus payé.e.s ».

(2) L’heure de TD est rémunérée 41,41€ brut. Le décret n°2009-460 du 23 avril 2009 précise que chaque heure de travaux dirigés correspond à 4,2 heures de travail effectif (pour la préparation des TDs et la correction des copies de TDs). Sur cette seule base réglementaire, le SMIC horaire brut des vacataires (pour l’heure de travail effectif) est donc à 9,85 € soit moins que le SMIC horaire brut national qui “s’élève” à 9,88€. On est pourtant encore loin du compte. En 2014, des vacataires du Collège Droit, science politique, économie et gestion de l’Université de Bordeaux réalisaient une étude fouillée sur leur temps de travail effectif. L’enquête, basée sur les données déclaratives de 52 chargé.e.s de TD, établissait que leur rémunération horaire brute équivalait en réalité à 5,94 €/h (alors que le SMIC horaire brut était de 9,53 €). Tout ceci sans compter bien entendu les frais de transports (non pas intra-urbains mais bien interurbains). C’est à ce prix là que les université tournent !

(3) Ce décret, (sciemment ?) flou, indique : « les personnels régis par le présent décret sont soumis aux diverses obligations qu’implique leur activité d’enseignement et participent notamment au contrôle des connaissances et aux examens relevant de leur enseignement ». C’est le qualificatif « de leur enseignement » qui ici entretient ce flou, permettant aux chargé.e.s de CM, plus souvent titulaires, d’imposer aux chargé.e.s de TD la correction des examens de leurs enseignements en cours magistraux.

(4) Enquête sur les personnels non-titulaires, MESR, 2014, https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/statistiques/47/6/Non_permanents_2013-2014_FINAL_386476.pdf. Pour la situation de la science politique, voir l’enquête « Précarité » réalisée par le CNU 04, l’AFSP et l’ANCMSP, qui donne des chiffres comparables : environ 10% du volume d’enseignement en science politique est assuré par des vacataires.

(5) En plus de permettre le financement de la formation (et non plus seulement de la recherche) par projet, c’est à dire par la mise en concurrence des établissements, il invite à l’expérimentation de nouvelles formes de regroupement entre établissements. Ces regroupements pourront être décidés par ordonnance conformément à l’article 28 de la loi “pour un État au service d’une société de confiance” voté en 30 janvier 2018.

(6) Officiellement d’actualités puisque les députés LREM ont demandé un rapport à la Cour des comptes en vue d’augmenter les frais d’inscription à l’université. Voir http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8244.

(7) Voir ces promesses de revalorisation des enseignements qui, dans le contexte d’austérité que l’on connaît, n’engagent que ceux qui y croient. La version de la CPU parle plus explicitement de modulation des services (p. 10).

(8) Note du SNESUP-FSU, « Rétention des notes et grève administrative », http://www.snesup.fr/retention-des-notes.