Les difficultés d’insertion professionnelle des docteurs

Une note du Conseil d’Analyse Stratégique publiée le 29 juillet 2010 souligne les faibles opportunités de carrière des docteurs en France. Deux propositions fortes : fabriquer plus de docteurs dans les grandes écoles, et faire financer un plus grand nombre de doctorats par l’État et les entreprises.


Le Centre d’Analyse Stratégique est un organisme directement rattaché au Premier ministre. C’est le descendant du défunt Commissariat Général au Plan, dissous en 2006 sur décision de Dominique de Villepin. Sa mission reste du domaine de la prospective, mais dans les faits, le Centre n’a plus le pouvoir programmatique de son prédécesseur.

Hélas ! Car le Centre vient de publier une “note de veille” sur les difficultés d’insertion professionnelle des docteurs. Cette note, rédigée par un membre du Centre et par une experte de l’OCDE, formule des recommandations très intéressantes. Le Ministère les mettra-t-il en application ?

Chômage, financement, entreprises : un bilan accablant

Les auteurs commencent par faire remarquer ce que d’autres, comme l’économiste Michel Godet, avaient déjà diagnostiqué : en France, le marché du travail affiche un déséquilibre flagrant au détriment des docteurs, dont le taux de chômage est nettement supérieur à celui du niveau de qualification Master. Cette observation complète les données de l’APEC et celles du CEREQ, que l’ANCMSP diffuse depuis plusieurs années [[On renvoie aux enquêtes respectives pour un comparatif chiffré. La note du CAS se fonde sur les données du CEREQ.]]. Cette situation est inconnue ailleurs en Europe, à l’exception de la Belgique. Partout ailleurs, l’emploi des docteurs se porte mieux que celui des autres diplômés, alors qu’en France, “le taux de chômage des titulaires de doctorat est en moyenne trois fois supérieur à celui observé dans les pays de l’OCDE” (p.2).

Triste portrait, dans lequel les auteurs soulignent en contrepoint la situation des doctorants financés. Apologie méritée du financement doctoral, qui permet “de se consacrer pleinement à la préparation de sa thèse, favorisant ainsi sa réussite au diplôme”. Pour les auteurs, la période de financement est “considérée comme une expérience professionnelle de trois ans, bien valorisée sur le marché du travail” (p. 3). L’ANCMSP participe à la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC), qui défend sur tous les fronts la valeur professionnelle du doctorat, financé ou non, et qui demande également la contractualisation de tous les doctorants. Faut-il rappeler que le doctorat n’est pas un passe-temps, mais bien une expérience professionnelle ? Qu’il faut sans relâche exiger pour elle des conditions de rémunération et de travail à la hauteur d’une recherche scientifique de qualité ?

Le Centre désamorce au passage l’argument qui consiste à penser que le chômage des docteurs serait à mettre sur le compte… des docteurs eux-mêmes. Trop nombreux, les docteurs français ? L’ANCMSP a déjà communiqué sur cette fausse idée : en effet, le rapport Audier-Douillard montrait déjà, données OCDE et OST à l’appui, que la France a moins de docteurs dans sa tranche 25-34 ans que ses voisins européens. Les auteurs de la note balaient donc l’hypothèse de la “surproduction doctorale”, et vont même plus loin en observant qu’en France comme au Canada et en Allemagne, le nombre de nouveaux docteurs stagne. Les docteurs, comme les (enseignants-)chercheurs, sont nombreux en France, mais en rapport à sa population totale, la France accuse un retard lamentable : “En pourcentage d’une classe d’âge, la plupart des pays de l’OCDE forment davantage de docteurs que la France” (p. 4).

Le déséquilibre se situe, pour les auteurs, à un tout autre niveau : en France, le secteur privé n’embauche pas assez de docteurs. La note contient des données très utiles pour rompre avec les préjugés sur l’emploi des docteurs, qui travaillent aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, mais elle souligne surtout trois difficultés majeures posées aux docteurs dans les entreprises :

  1. d’une part, les entreprises recrutent les docteurs, mais sur des postes sans rapport avec la recherche ;
  2. d’autre part, même sur les postes de recherche, les entreprises favorisent les ingénieurs ;
  3. et enfin, “comparée aux autres pays de l’OCDE, la faible insertion en entreprise en France des titulaires de doctorat est due en partie à un sous-investissement en R & D privée” (p. 6).

Ce bilan accablant est malheureusement bien connu des associations de jeunes chercheurs comme l’ANCMSP, la CJC ou l’ANDèS, l’Association Nationale des Docteurs ès Sciences, qui ont souvent rencontré ces difficultés dans les colloques où elles interviennent. En définitive, les disciplines les plus touchées par ces déséquilibres sont la chimie et les sciences humaines et sociales (SHS), qui représentent 55% des docteurs, et où les taux de chômage atteignent 16% et 11% respectivement. Les SHS, en particulier, font l’objet de stigmates divers et variés, voire de tentatives de sauvetage par des conseils qui se suivent et se ressemblent (voir l’analyse de l’ANCMSP et son bilan récapitulatif sur les SHS).

Cinq propositions : à prendre ou à laisser…

Les auteurs terminent leur réflexion par cinq propositions, que l’on reprend ici :

  1. Améliorer l’information des établissements et des étudiants, notamment en associant davantage les acteurs privés à la production de données régulières, par disciplines, sur les besoins de recrutements et sur l’insertion professionnelle des docteurs”. L’ANCMSP, qui a constitué deux annuaires des écoles doctorales et des laboratoires de recherche en science politique, peut hélas témoigner de l’immense pauvreté française en matière d’informations et de statistiques sur le doctorat…
  2. Réaffirmer le rôle central des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) dans la coordination et la régulation de l’offre de formation doctorale, notamment en favorisant le transfert au PRES de la compétence de délivrance des diplômes et des moyens de financement des contrats doctoraux.” Cette recommandation, déjà à l’étude dans les PRES pilotes qui délivrent un doctorat unique, créera peut-être un surcroît de visibilité au doctorat, en espérant (cela fait vivre) qu’il en émerge d’autres conséquences positives. En revanche, rien n’est prévu pour empêcher que s’appliquent, au sein des PRES, des stratégies beaucoup moins éclairées que celles prévues par les auteurs, comme la marginalisation des disciplines perçues comme non rentables face à celles perçues comme immédiatement profitables.
  3. Associer davantage les grandes écoles aux formations doctorales, pour permettre à davantage d’ingénieurs de préparer un doctorat”. Par cette mesure, les auteurs cherchent à rattraper le retard doctoral français, et surtout à camoufler le système français à deux vitesses, entre grandes écoles et universités (voire à trois vitesses, entre “grandes universités”, “petites universités” et “grandes écoles”).
  4. Améliorer la proportion de thèses financées, notamment par les entreprises : d’une part, en fixant un objectif aux universités dans le cadre de leur contractualisation avec l’État ; d’autre part, en imaginant un dispositif permettant à une entreprise de financer une thèse en contrepartie d’un engagement du doctorant à demeurer quelques années dans l’entreprise après son embauche”. Cette mesure est de loin la plus importante : les auteurs demandent expressément le financement des doctorants, par les universités, et par des entreprises qui y gagneraient, en contrepartie, un salarié à moyen terme (ce qui se produit déjà dans le cas des CIFRE).
  5. Reconnaître le doctorat dans les conventions collectives, notamment les grilles salariales”. Cette mesure, que l’ANCMSP défend depuis plusieurs années (au moins depuis ses interventions lors du mouvement Sauvons La Recherche en 2004), ne revient qu’à faire appliquer la loi, ce que la CJC a rappelé encore une fois en évoquant cette revendication lors des mobilisations de 2009 [[Les auteurs le rappellent également : “il sera temps pour l’État de mettre en œuvre l’article L. 411-4 du code de la recherche, issu de la loi du 18 avril 2006, qui prévoit la convocation de commissions composées des parties signataires aux conventions collectives pour discuter ‘des conditions de la reconnaissance (…) du titre de docteur’, en commençant par les principales branches concernées.” C’est aussi simple que ça.]]. Le patronat fait ici obstacle, menaçant même d’embaucher moins de docteurs si l’État venait à lui forcer la main sur ce sujet.

Ces propositions sont donc à prendre ou à laisser…

Pour l’État, qui doit exiger des universités, désormais “autonomes”, qu’elles financent plus de doctorants, à la fois en proportion de leurs effectifs et en volume, et qu’elles communiquent leurs informations sur le doctorat en effectuant un suivi complet de leurs jeunes chercheurs ;
Pour le secteur privé, qui doit participer au financement des doctorats et accepter également d’embaucher les jeunes chercheurs sur des postes de R & D (et pas d’innovation et autres formes de marketing déguisé…), à des niveaux de rémunération en accord… avec la loi.

Le graphique suivant ne fait pas partie de la note du Centre d’Analyse Stratégique, mais il peut être utile de se souvenir qu’en France, les entreprises ne financent quasiment pas la recherche scientifique des universités, ce qui se fait dans des proportions plus élevées, voire beaucoup plus élevées (en Allemagne) dans le reste de l’Union européenne et de l’OCDE.

Note : Le graphique utilise les Main Science and Technology Indicators (MSTI) (OCDE) de 2007. Cliquer sur le graphique (également téléchargeable en fin de page) pour obtenir un document PDF permettant une meilleure visualisation de la contre-performance française. Les moyennes OCDE et EU-27 ont été “horizontalisées” à partir des valeurs de 2005-2006. Un graphique similaire a été publié par Sauvons La Recherche en mai 2010.

Comme cette note l’indique, la balle n’est pas dans le camp des jeunes chercheurs. Les auteurs, finalement très keynésiens, proposent une relance de la politique doctorale par la demande. Une recommandation contradictoire avec la politique actuelle de l’État, qui refuse toujours, par exemple, de suivre la recommandation inter-associative d’embaucher des docteurs dans sa haute fonction publique, ni pour les entreprises, dont le comportement au sujet du doctorat comme de la R &D, reste très majoritairement myope. Des dispositifs comme le crédit impôt recherche, qui masquent difficilement la stagnation des moyens de la recherche en France, montrent finalement l’écart abyssal entre les ambitieuses recommandations du Plan et les faibles mesures prises par le gouvernement français en ce domaine.